Les derniers jours d'André Chénier

LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER 307

Vincennes, sur une place dite du Trône-Renversé, près d’un terrain quiappartenat aux chanoines de Picpus et qui fut transformé en cimetière. Pour y arriver, les condamnés avaient tout le faubourg|Saint-Ahtoine à traverser... Dans ce faubourg, on insultait ceux qui allaient mourir.

Dans cette fin d’une journée d'été, devant l'insolente joie du soleil de juillet qui resplendissait magnifiquement sur ce carnage, il est impossible que ce jeune homme de trente ans n’ait pas éprouvé, dans les suprêmes sursauts de son agonie, un furieux désir de vivre, une épouvantable horreur de mourir. Les appels de la vie venaient à lui de toutes parts. Mais du haut de la charrette, il dominait une populace en délire, ivre de sang, hurlant à la mort. Les témoins de son supplice valaient les juges qui l’avaient condamné. Quel dégoût!

Il dut se taire :

Allons, étouffe tes clameurs; Souffre, 6 cœur gros de haine, affamé de justice. Toi, Vertu, pleure, si je meurs.

Dans une vision rapide, comme font les mourants, il revit le salon de sa mère, son premier cénacle : Abel de Malastie, Alferi, la comtesse d’Albany, surtout Mme de Bonneuil qu'il a chantée sous le nom de Camille, Mme Gouy d’Arcy, la comtesse Hocquart, et l'idéale Fanny, Mme Laurent Le Coulteux, la « Muse des derniers beaux jours », et cette jeune Anglaise, Marie Cosway, qui fut l'inspiratrice de quelques-unes des plus nobles pages de son œuvre inachevée. Il put croire que ces charmantes têtes de femmes avaient roulé, elles aussi, dans le panier, sous le couteau de la guillotine. Ou peut-être eut-il le crève-cœur de douter de ses amis, aû moment où il fut bouclé sur la planche, basculé par les valets du