Les fêtes et les chants de la révolution française

LA FÊTE DE L'ÊTRE SUPRÊME. 157

Nulle fête n’avait excité une si douce attente. « Une mer de fleurs (à la lettre, le mot n’est pas exagéré, dit Michelet) inonda Paris : les roses de vingt lieues à la ronde y furent apportées, et des fleurs de toutes sortes, ce qu'il fallait pour fleurir les maisons et les personnes d'une ville de sept cent mille âmes. » La veille, toutes les maisons, riches ou pauvres, avaient été ornées uniformément avec des branches d'arbres, des fleurs, des banderoles tricolores.

Après que les tambours eurent battu le rappel dans tous les quartiers, — ce que David appelait « faire succéder au calme du sommeil un réveil enchanteur », les cloches de toutes les églises carillonnèrent à toute volée, faisant retentir sur Paris la symphonie que Victor Hugo aimait à évoquer du haut des tours de Notre-Dame. A huit heures, le canon tonna : c'était le signal de l'ouverture; les citoyens, qui s'étaient rendus individuellement dans les quarante-huit sections, se formeèrent en autant de cortèges et se dirigèrent vers le jardin des Tuileries, lieu du rassemblement. L’allégresse était générale. « La joie qui rayonnait dans tous les yeux avait quelque chose de calme et de religieux. Les femmes étaient dans le ravissement. » Ainsi parle un témoin oculaire (Tissot), évoquant après plus de quarante années les impressions et les souvenirs de J'inoubliable journée.

Pourtant, n'avait-elle pas, cette joie populaire, quelque chose d'un peu contraint et de trop ordonné pour avoir le caractère d'intimité qui est l'essence de la véritable joie? L'esprit dans lequel fut ordonnée la Fête à l’Être suprème donne à le penser. Le peuple de Paris y apparut comme enrégimenté. Après le Plan de David, qui, malgré les défauts de son style déclamatoire, avait tracé les grandes lignes du tableau le plus grandiose,