Les serviteurs de la démocratie
LES PROSCRITS 313
ment. Prenant en main les intérêts de leurs frères malheureux, ils soulagèrent discrètement toutes les infortunes. Enfin, grâce à Edgar Quinet, à Bancel, à Madier de Montjau, à Schœælcher, proscrits eux-mêmes, chaque exilé fut assaré d’avoir, à l'heure de la mort, des funérailles honorables et indépendantes. Ainsi, toutes les fois qu’une victime succombait, il y avait, pour rendre hommage au caractère du défunt, une voix éloquente et émue. En face de chaque tombe ouverte, on affirmait à nouveau les revendications éternelles et la foi indomptable dans le relèvement prochain de la patrie républicaine. Noble exemple, bien digne de ceux qui le donnaient au monde politique !
Nous aurons sans doute la joie de voir un jour, réunies en un volume, les oraisons funèbres de l'exil. Ce serait un recueil admirable. Tout d’abord on y lirait les incomparables discours de Victor Hugo, qui ne fut jamais si grand que dans ces circonstances attristées et solennelles. Il n’y a rien de plus émouvant dans notre littérature que les paroles prononcées par Madier de Montjau sur la fosse du proscrit Gervais. Cet exilé était une des victimes les plus respectables du coup d'État. Il s'était engagé dans la phalange républicaine qui combattit pour la conquête de nos libertés. Nommé commissaire de la République en 1848, Gervais sut conquérir l'estime de tous les bons citoyens. En 1851, sa notoriété de vertu civique lui valut d’être chassé du territoire français. Madier de Montjau rappelait avec une émotion communicative toutes les souffrances de ce banni, toutes les horreurs de la si= tuation où se trouve l'homme dont on a brisé l'avenir; à qui on a arraché sa patrie, sa famille et ses amis, pour lui donner en échange l'isolement en pays étranger et l’incurable tristesse.