Lettre inédite d'Étienne Dumont sur quelques séances du tiers état : mai 1789

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A M. le pasteur Vernes, à Morges".

Genève, ce 6 Décembre 1783. Monsieur,

J'ai différé quelque temps d’avoir l'honneur de vous répondre afin de vous communiquer tout ensemble et les derniers examens de théologie et la consécration qui nous fut faite par M. de la Porte le 2 Décembre. Cette journée eût été la plus belle de ma vie sans la malheureuse TÉVOlution ; je ne trouvais rien de plus honorable que le ministère à Genève quand on pouvait espérer quelque chose de la Patrie et des mœurs. Je is ce que je pus pour en écarter le souvenir ; mais votre absence toute seule dans ce jour de solennité me faisait penser malgré moi à nos malheurs et à nos pertes. J'entrais dans un corps qui n'a plus son lustre ; je viens après que les beaux jours de la Religion sont passés : quand ou nous exhortait à nous employer pour Genève, je faisais même alors le vœu de n'y pas rester ; je ne sais si je trouverais quelque Église pour suivre mon goût dominant, ou si je ne serais point forcé de trainer pendant bien des années la chaîne dans d'insipides préceptorats ?. Vous sentez, Monsieur, que toutes ces réflexions qui ont dû m'assaillir à présent plus que jamais mêlent bien de l'amertume au plaisir d'avoir obtenu le caractère que j'avais si longtemps désiré. Il faudrait pour ranimer mon zèle quelques nouvelles décisions de notre chère Irlande *. Mais tout languit et l'on ne dit plus rien de l'Académie.

Je n'ai plus qu'une année la liberté de rester à Genève sans prêter le serment #. Je chercherai done pendant cet intervalle le moyen de m'élablir ailleurs. Je commence à douter qu'il se présente quelque place à Londres, et d'ailleurs Mercier est sur les lieux pour obtenir la première ; si l’on me fait quelque autre proposition, je vous la communiquerai pour avoir vos conseils et je vous prie de m’honorer toujours de l'intérêt que vous m'avez marqué jusqu'à présent.

Combien je regrette dans ma nouvelle carrière de ne pouvoir pas profiter à mon gré de vos lumières et de votre expérience ! Car on apprend

1 Je dois la communication de cette lettre à l'extrême obligeance de M. L. Dufour-Vernes, arrière-petit-fils, par alliance, du pasteur Jacob Vernes.

2 1] fait allusion à sa position présente comme précepteur des enfants de M. De la Rive-Sellon.

3 Il s'agit de l’émigration en Irlande (Waterford) projetée par les exilés du parti des Représentants et de leurs amis.

4 On devait le prêter à 25 ans.