Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822
18 LORD CASTLEREAGH ET LA COALITION EUROPÉENNE.
en tout lieu l'établissement de constitutions libérales, à rendre aux peuples leurs droits méconnus ou violés. La pensée de réparer autant que possible la grande iniquité du partage de la Pologne le préoccupait particulièrement. Il est vrai qu’en rétablissant l'antique royaume des Jagellons, c'était sur sa propre tête qu’il comptait en placer la couronne, en sorte qu’il ne pensait à rien moins qu'à réunir aux immenses populations déjà soumises à son autorité les quatre millions de Polonais du duché de Varsovie.
On comprend facilement que de tels projets dussent inquiéter ses alliés, mais il était évident qu’on ne l’amènerait pas sans peine à y renoncer. Les faveurs dont la fortune venait de le combler lui avaient naturellement donné une confiance dansses propres conceptions qu’on ne lui avait jamais connue jusqu’alors. Entouré de Polonais, d’Allemands, de Français expatriés, qui s’appliquaient à entretenir en lui des idées dont ils espéraient tirer parti dans l'intérêt de leurs opinions et de leurs vues particulières, il n’écoutait que leurs conseils. Le comte de Nesselrode, qui remplissait auprès de lui les fonctions de ministre des affaires étrangères sans en avoir le titre (1), était trop jeune et n’avait pas encore acquis assez de consistance pour que son esprit juste, droit et conciliant pût exercer dès lors l'influence modératrice qu’il a su acquérir depuis.
La Prusse, que les aspirations ambitieuses de la Russie semblaient devoir contrarier plus qu'aucune autre des puissances coalisées, puisque le duché de Varsovie se composait presque en entier de provinces qui lui avaient jadis appartenu, n’était pourtant pas en position d'y mettre obstacle, etn’en avait pas même la volonté. Puissante sur le champ de bataille, où sa population, poussée tout entière par un admirable élan de patriotisme, avait peut-être porté à Napoléon les coups les plus terribles qu’il eût reçus pendant la précédente campagne, la Prusse était moins en ce moment un état qu'une armée. Napoléon, par le traité de Tilsitt, l'avait réduite aux proportions d’une puissance du second ordre. La coalition s'était engagée à lui rendre ses anciennes dimensions, à l’agrandir même, si les résultats de la guerre le permettaient, mais on ne savait pas encore précisément quels territoires lui seraient assignés. Si la Russie gardait tout le duché de Varsovie, c'était en Allemagne que la Prusse devait recevoir ses indemnités. Cette chance était loin de contrarier le parti qui dominait alors la politique prussienne, celui des sociétés secrètes, des professeurs, des étudians, qui, suscités par quelques hommes d’état passionnés, tels que le baron de Stein, avaient donné le signal
(1) Le titulaire de ce département était le chancelier Romanzow, que son âge et sa santé avaient retenu en Russie. 1