Michelet et l'histoire de la Révolution française

MICHELET. — HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 45

excuser tous les actes des révolutionnaires, ils ne cherchaient qu'à les expliquer et à en faire comprendre l’enchaïnement.

On les a accusés l’un et l’autre de fatalisme, et même d’une tendance immorale à trouver dans le suceës la justification de tous les actes, même les pires. Je crois qu'une lecture impartiale de leurs livres ne confirme pas cette manière de voir. On n'est pas fataliste, parce qu’on cherche à comprendre comment certaines situations ont déchaïné certaines passions, ont déterminé certains actes et comment ces actes ont été la conséquence plus encore des circonstances que des caractères et de la volonté bonne ou mauvaise des hommes. Cette recherche du lien qui rattache les événements en série dans une période donnée est la tâche propre de l'historien, et, à cet égard, MM. Thiers et Mignet, bien qu'ils aient été poussés à écrire leurs deux livres par une intention politique, ont fait véritablement œuvre d'historiens. C'était du reste la première fois que l’histoire de la Révolution était écrite par des hommes qui n’y avaient été ni acteurs ni même spectateurs. Toutefois, ils étaient trop rapprochés des événements et connaissaient un trop grand nombre d'acteurs du drame pour que les témoignages oraux et les jugements des hommes de la Révolution n'aient pas joué un grand rôle dans la composition de leurs œuvres. Mais leur intelligence libre et aiguisée savait les utiliser sans s’y asservir. La foi candide de M. de Lafayette leur permettait de biencomprendre les espérances, les convictions et les illusions des hommes de 1789 : la sévérité doctrinale et morale de M. Royer-Collard leur rappelait, à M. Mignet surtout, le lien qui rattachait les avortements et les échecs de la Révolution à ses excès. Mais surtout la clairvoyance dépourvue de scrupules et de préjugés de M. de Talleyrand, dont ils avaient cultivé assidûment le commerce, les aidait à saisir les mobiles et les raisons de la marche inéluctable de la Révolution, et à les mettre en lumière pour l’instruction.des générations nouvelles. Chez Manuel et chez Laffitte, M. Thiers voyait encore beaucoup d’autres témoins de la grande époque et chez Talleyrand il pouvait causer finances avec le baron Louis. On peut dire que leurs deux livres sont, à quelques égards, la Révolution vue à travers M. de Talleyrand et ses amis. Cela est vrai surtout de M. Thiers, car chez Mignet on sent toujours le moraliste, mais un moraliste qui cherche des leçons dans le passé au lieu de se complaire dans des indignations ou des enthousiasmes, des blâmes ou des approbations également vains. M. Thiers, lui, fait de l’histoire politique, en y mêlant, ce qui était une nouveauté, l’histoire financière, l’histoire diplomatique et l’histoire militaire.

Pour les deux jeunes historiens la qualité essentielle de l'historien, c’est l'intelligence ; son devoir est de faire comprendre. Aussi, bien que leur œuvre ait été dansune certaine mesure improvisée, car Thiers écrivit ses dix volumes tout en fournissantune collaboration aussi active que variée au Constitutionnel et au Globe, et Mignet prépara en deux ans et écrivit en quatre mois l'histoire d’une période de vingt-cinq ans; bien qu'ils n'aient consulté qu'un nombre de sources très restreint dont presque aucune manuscrite; bien que leurs ouvrages aient été des œuvres de circonstance dictées par une pensée politique, ce sont néanmoins des ouvrages historiques importants, conçus à certains égards d’une manière scientifique, avec une volonté incontestable d’impartialité. Tout en laissant voir qu’à leurs yeux la monarchie constitutionnelle est