Michelet et l'histoire de la Révolution française

46 MICHELET. — HISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE

l'idéal politique auquel les principes de 1789 doivent conduire, ils se gardent de faire de la Révolution une préface à une prédication en faveur du régime représentatif anglais comme l'avait fait Mme de Staël. Ils restent sur le terrain de l’histoire.

Leurs œuvres ont élé le point de départ, la base de toutes les études ultérieures sérieuses sur la Révolution française. Ils en ont posé les jalons. Ce ne sont ni des œuvres complètes ni des œuvres approfondies, mais ce sont des essais d'histoire politique très consciencieux et déjà solides. Leurs auteurs ont rejelé les fausses élégances littéraires qui déparaient l'ouvrage de Lacretelle êt lui enlevaient presque toute valeur; ils sont des fils du xviue siècle, des rationalistes ennemis de la déclamation, élèves de Montesquieu et de Voltaire plus que de Rousseau, et ils racontent et jugent les événements avec une lucidité sereine qui a surpris les contemporains, et qui constitue un vrai mérite, quand on rapproche leurs œuvres de celles qui ont précédé et qui ont suivi.

Mignet et Thiers avaient été surtout des historiens politiques, ils avaient surtout fait l’histoire de la Révolution parisienne, en s’intéressant presque exclusivement aux personnages politiques qui avaient occupé le devant de la scène.

Les mouvements populaires, les passions des foules, la vie de la masse de la nation pendant la Révolution n'avait guère attiré leur altention, et leur esprit de monarchistes libéraux, nourris dés idées du xvure siècle, ne les avait pas préparés à sentir ni à faire revivre les passions nobles ou brutales qui avaient animé les hommes de la Révolution. Il devait nécessairement venir maintenant des hommes qui allaient tâcher de connaître, de faire revivre ces passions, d'écrire l’histoire de la Révolution dans un esprit révolutionnaire. Le mouvement romantique d’une part, qui invitail l'historien à faire appel à l'inspiration et l'intuition, et qui prétendait, non seulement comprendre le passé, mais le ressusciter ; et d’autre part, le réveil des idées républicaines et proprement révolutionnaires qui se produisit après 1830 et qui, après 1840, prépara la Révolution de 1848, devaient faire naître un groupe d'œuvres nouvelles, qui n'auront pas le calme et l’impartialité des ouvrages de Mignet et de Thiers, mais qui auront bien plus de chaleur, de couleur et de vie, et feront à leur tour comprendre ce que ceux-ci étaient impuissants à faire ressortir, les sentiments, les passions et les idées qui ont agité les hommes. Mignet et Thiers montraient des événements et des actes ; Carlyle, Michelet, Lamartine, Louis Blanc montreront des passions, des idées et des hommes.

C'est Carlyle qui, le premier, écrivit l'Histoire de la Révolution sur le mode lyrique et romantique. Cest en 4839 qu’il publia son History of the French Révolution. Le génie désordonné et pittoresque de Carlyle trouvait dans la tragédie révolutionnaire un sujet qui lui convenait. Il eut, avant Michelet et avant Taine, le sentiment que l'acteur principal de la Révolution était le peuple même, et son principal effort fut de peindre, dans une série de tableaux d’un coloris éclatant et souvent surchargé, les mouvements passionnés de ce peuple. Une idée unique inspirait le livre : la ruine de la monarchie despotique et corrompue de l'Ancien Régime a déchainé lAnarchie ; la Révolution n’est pas autre chose que la série de convulsions à travers lesquelles les éléments sains d'ordre et de paix luttent contre le désordre et la barbarie, .et finissent