Michelet et l'histoire de la Révolution française
18 MICHELET. — HISTOIRE DF LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
teur une idée plus mystique encore que philosophique : l’idée que la Révolution est la révélation d’un idéal de justice, fondement de légalité sociale, en opposition avec l’idée chrétienne de la grâce, fondement de l'inégalité sociale. Heureusement Michelet était un historien habitué à manier les textes et un esprit créateur, qui savait arracher aux textes le secret de la vérité et de la vie. Si ses deux premiers volumes ont été préparés avec hâte et presque exclusivement avec les textes réunis de 1833 à 1838 par Buchez et Roux dans les quarante volumes de leur Æistoire parlementaire de la Révolution française, il fouilla ensuite de beaucoup plus près les sources et même les sources manuscrites, il les employa d'ordinaire ayee critique, et son ouvrage, où il chercha à comprendre et à faire revivre tous les éléments qui ont pris part à la Révolution pour la défendre où la combattre, et où les individus, même les plus marquants, ne sont que des manifestations éphémères des forces collectives qui déterminent la marche des événements, a, sur beaucoup de points, fait avancer la connaissance et surtout l'intelligence de la Révolution, en dépit de l’intempérance avec laquelle Michelet laisse déborder dans son œuvre ses émotions el ses conceptions personnelles.
Les deux premiers volumes de Louis Blanc n'étaient qu’une préface de l'histoire proprement dite de la Révolution, préface très travaillée et très intéressante, où il remonte jusqu'au xve siècle pour découvrir la naissance et la marche des idées qui ont produit la Révolution. Cette Histoire, du tome IT au tome XII, Louis Blane l’écrivit en exil. en Angleterre,loin des documents d'archives qu'il aurait pu consulter en France, mais au milieu des riches collections de livres et de manuscrits du British Museum, qui lui ont permis de composer un ouvrage solide, neuf sur beaucoup de points, et qui était certainement plus approfondi que tous ceux qui l'avaient précédé. Quoique l’Zistoire de Louis Blanc, écrite d’un style soigné, oratoire sans excès de rhélorique et imagé sans fantaisie, ait plus de gravité et moins de vie et d'éclat que l'œuvre haletante, l'ébrile, trépidante de Michelet, elle à elle aussi ses côtés de subjectivisme, de lyrisme et de romantisme. Chez Louis Blane, c’est l'idéologie qui remplace le mysticisme de Michelet, et la Révolution sort d’une lutte des idées d’autorité, d’individualisme et de fraternité. L'histoire même de la Révolution est un plaidoyer, nourri de faits sans doute, mais rempli aussi des théories politiques et sociales de Rousseau, en faveur des Jacobins, considérés comme les représentants des idées de patrie et de fraternité et comme les précurseurs du socialisme.
Après ces œuvres, que j'ai qualifiées de romantiques etrévolulionnaires, œuvres de parti, où les préférences et les conceptions subjectives tiennent une grande place, nous arrivons à un nouveau groupe d'œuvres, avec lesquelles l’histoire de la Révolution entre dans une phase vraiment scientifique, soit parce qu'on en étudie les causes et les caractères en s’en tenant aux faits el aux réalités concrètes, soit parce qu’on en approfondit et qu'on-en renouvelle l’histoire elle-même par l'étude de sources nouvelles et en particulier des sources d'archives. D’ailleurs,les publications de documents, mémoires ou actes diplomatiques, se multiplient à partir de 1840 en France et à l'étranger, et fournissent aux historiens des matériaux considérables qui élargissent leur horizon. Les progrès de la critique historique, l'importance de plus en plus grande donnée à l'étude des textes originaux et à leur exploitation méthodique inspirent