Michelet et l'histoire de la Révolution française

MICHELET. — HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 47

par être sauvés par un héros, qui conserve ce qu’il y avait de bienfaisant et de vital dans l’œuvre de la Révolution (1).

Carlyle qui était Anglais, et dont les idées étaient un singulier mélange de radicalisme puritain teinté de socialisme avec une sorte de culte du passé, des pouvoirs forts et des grands hommes, et qui n'avait de vraie haine que pour le libéralisme égoïste et individualiste des whigs, regardait du dehors la Révolution française comme un phénomène prodigieux qui l’enthousiasmait par sa puissance et le révoltait par son incohérence. Lamartine, Michelet et Louis Blanc sont des Français, imbus de l'esprit de la Révolution, qui considèrent l'esprit de la Révolution comme l'esprit même de la France moderne, et écrivent à la fois pour faire connaître cet esprit et pour faire rentrer la France dans les voies de la République. La même année 1847 paraissent les huit volumes de l’Æistoire des Girondins de Lamartine, les deux premiers volumes de l’Æistoire de la Révolution de Michelet qui devait en avoir septet les deux premiers volumes de l’Æistoire de la Révolution de Louis Blanc qui devait en avoir douze. Lamartine avait improvisé son œuvre en troisans. Il l'avait commencée en 1843. L'Histoire des Girondins est un véritable poème, où Lamartine s’est beaucoup moins soucié d'analyser des textes etdes faits que d'exalter l’âme de la France révolutionnaire dans ce qu’elle eut d’héroique, de désintéressé, de sublime, à travers toutes les erreurs et tous les crimes. Lamartine réconcilie dans le ciel d’une république idéale tous les partis révolutionnaires qui s'étaient déchirés les uns les autres. Ce plaidoyer, d'un style prestigieux, d’une éloquence entraînante et d’une poésie éblouissante, contribua pour beaucoup à nourrir les enthousiasmes et les illusions d’où devait sortir la République de 1848. La Revolution de Michelet y contribua aussi pour sa part. Elle aussi est un poème dont le peuple est le héros, et elle a pour point de départ et pour fil conduc-

(1) Taine, dans sa Littérature anglaise (V. p. 320) a admirablement caractérisé et réfuté le point de vue de Carlyle, qui devait cependant être adopté-et exagéré plus tard par lui-même, dans ses Origines de la France contemporaine.

« Iln'a vu que le mal dans la Révolution française. I] la juge aussi injustement qu'il juge Voltaire et pour les mêmes raisons. [l y cherche le sentiment puritain, et comme il ne l'y trouve pas, il nous condamne.

« La philosophie qui à produit la Révolution française était simplement destructive. La théorie des Droits de l'Homme, empruntée à Rousseau, n'était qu'un jeu logique, une pédanterie vaine. La morale en vogue était la promesse du bonheur universel. Incrédulité. bavardage, sensualité, voilà les ressorts de cette réforme. On remplace l'autorité corrompue par l’anarchie effrénée. La destruction accomplie, restent les cinq sens inassouvis, et le sixième sens insatiable, la vanité, toute la matière démoniaque de l’homme apparut et avec elle le cannibalisme.

« Ajoutez donc le bien à côté du mal, les vertus à côté des vices. Ces sceptiques croyaient à la vérité prouvée, ef ne voulaient qu'elle pour maître. Ces logiciens ne fondaient la société que sur la justice, et risquaient leur vie plutôt que de renoncer à un théorème établi. Ces épicuriens embrassaient dans leur sympathie l'humanité tout entière. Ces furieux, ces ouvriers, ces Jacques sans pain, sans habits, se battaient à la frontière pour des intérêts humanilaires et des principes abstraits. La générosité et l'enthousiasme ont abondé ici comme chez vous : reconnaissez-les sous une forme qui n’est point la vôtre Ils se sont dévoués à la vérité abstraite comme vos puritains à la vérité divine ; ils ont suivi la philosophie comme vos purifains la religion. Ils ont eu pour but le salut universel comme vos puritains le salut personnel. Ils ont combattu le mal dans la société comme vos puritains dans l'âme. Ils ont été généreux comme vos puritains vertueux. Ils ont eu comme eux un héroïsme, mais sympathique, sensible, prompt à la propagande, et qui a réformé l'Europe pendant que le vôtre ne servait qu'à vous, » k °