Musique exécutée aux fêtes nationales de la Révolution française : chant, choeurs et orchestre
64 VICTOIRE DE FLEURUS, JUIN 1794.
La nouvelle de cette éclatante victoire parvint à la Convention deux jours après, et lorsqu'il en eut fait connaître les détails à la séance du 11 messidor (29 juin), Barère prononça ces paroles : « Quant aux « victoires, c’est aux arts à les célébrer. C’est à la musique devenue nationale et républicaine, à rap« peler les chants de Tyrtée et à prendre le caractère énergique qui convient à un peuple libre. Ce soir, « des chants civiques célèbreront les victoires remportées par les armées de la République. » Un décret aussitôt rendu, fut la conséquence de cette déclaration. L'article 1 donnait aux trois armées victorieuses réunies, le nom d'armée de Sambre-ct-Meuse et ajoutait qu’elles ne cessaient pas de bien mériter de la Patrie. Par l’article 2, l'Institut national de musique (plus tard le Conservatoire), était chargé de célébrer le soir même, dans le Jardin du Palais national (les Tuileries), les victoires de toutes les armées républicainest. C'était là une de ces improvisations comme on en demanda souvent aux musiciens rassemblés par Sarrette. A si bref délai, ilne pouvait être question que d’un concert, et sa préparation n’eût souffert aucune difficulté avec le répertoire existant, s'il n’eût fallu au moins une pièce de circonstance. C'est le poète Lebrun qui s’en chargea avec le compositeur Catel, et dans l’espace de quelques heures, fut écrit et appris l’hymne à la victoire sur la bataille de Fleurus. IL est juste de dire que cette composition, que nous reproduisons (p.76) d'après l'ouvrage périodique de chansons et romances civiques (n° 17) pour le chant, avec réduction faite d’après les parties d'orchestre publiées dans la 5° livraison du Hagasin de musique à l'usage des fêtes nationales et le Livre des Epoques?, était peu développée et ne comportait que de simples éléments. Est-il besoin d'ajouter qu'il ne pouvait en être autrement ?
Le soir venu, on illumina la façade du palais, côté du jardin, ainsi que le dôme du milieu, audessus duquel flottait l’'étendard tricolore, et à 9 heures, l'Institut national de musique, augmenté d'un grand nombre d'artistes des différents spectacles, commença le concert. Les exécutants étaient placés sur l'estrade construite quelques jours plus tôt, en avant du palais, pour la fête de l’Etre suprême, ornée pour la circonstance, de nombreux drapeaux € pris aux satellites des tyrans ». Des différents morceaux joués et chantés pendant les deux heures que dura le concert, nous ne connaissons que l'Hymne à l'Etre suprême, de Gossec; l’'Hymne des Marseillais, et celui de Lebrun et Catel que nous venons de citer, dont la seconde strophe fut reproduite par divers journaux#. L'allégresse était vive et chacun se montrait satisfait autant des événements, que des hymnes qui contribuaient à les célébrer : « Des airs patrio« tiques et guerriers, des hymnes et des chœurs nombreux, disait le rédacteur du Moniteur, ont attiré « l'attention générale et produit un plaisir universel. » L’enthousiasme ne se fût pourtant point manifesté dans toute sa plénitude, si la danse n’eût pas été de la fête. On dansa donc toute la nuit, comme on avait fait en attendant l'heure du concert, non sans répéter ironiquement : « C’est l’invincible Cobourg qui paye les violons ÿ. »
Poursuivant le cours de leurs opérations, nos armées du Nord et de Sambre-et-Meuse marchaient à la conquête de nouveaux lauriers. Dans la nuit du 14 au 15 messidor (3 juillet), on apprenait l’occupation de Bruges ct l'entrée des troupes françaises à Mons le 13, à 8 heures et demie du soir. Une fête avait été préparée pour le 15 au soir, mais par impossibilité ou dans l'espoir sans doute que de nouveaux succès seraient bientôt annoncés, elle fut contremandéef. On avait agi sagement, car le lendemain arrivaient des courriers apportant la nouvelle de la prise d'Ostende (13 messidor) et de Tournai (14), que Barère proclamait aussitôt à la tribune de la Convention (séance du 16 messidor — 4 juillet). Le Comité de salut public, dit-il, peut suivre à peine la rapidité de la marche de nos armées triomphantes: la victoire a usurpé le vol hardi de la renommée 7. L’échec des armées anglaise et autrichienne était d'un bon augure quant à l'issue de la campagne, aussi la joie était-elle générale, et c’est avec transport que furent accueillies ces paroles du président : «l’Institut national de musique célébrera ce soir, à 8 heures, « dans le jardin national, les victoires que vous venez d'apprendre ».
En prévision de ces manifestations, et pour leur donner plus d'éclat, les administrateurs de l'Institut national de musique s'étaient fait autoriser à augmenter leur personnel et les ressources mises à
4. Le Moniteur, n° 282.
2. Ces deux éditions offrent de légères variantes entre elles. En outre, la première donne des parties de flûtes et clarinettes, trompettes en w{, cors en /a, bassons, serpent, trombone basse (3°), tandis que la seconde est faite pour petit orchestre militaire : 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons. Au mois d'août 1794, il parut un arrangement de cet hymne pour piano forte par Rigel fils. Prix 25 sols.
3. On trouvera à la suite de la musique (p. 77) le texte des strophes que l'on chantait, au nombre de trois seulement. Elles font partie d'une Ode patriotique sur les événements de 1792 (depuis le 10 août jusqu'au 13 novembre) par Lebrun, publiée dans la Chronique de Paris du 17 janv. 1793 et imprimée chez Didot, qui se compose de 24 strophes. La Décade philosophique (n° du 10 prairial an Il) les à toutes reproduites (p. 203). Celles que nous publions portent dans cette édition les nes IV (Soleil), IX (C'est en vain), et XIIT (Pareils). Cette poésie à paru ensuite, en tête des Odes républicaines au peuple français du même auteur, composées en brumaire an IL et imprimées sur l'ordre du Comité d'instruction publique à l'imprimerie des lois en l’an IT (ode à l'Étre suprème, ode à la Liberté, ode sur le vaisseau le Vengeur!).
# La Décade philosophique messidor 11 p. #77. — Le journal de Paris no 547. Deux mille exemplaires de celte strophe « Soleil témoin dela Victoire » furent fournis par le magasin de musique, pour ce concert.
» Le Moniteur n° 284 p. 116%.
“Nous en avons la preuve dans la pièce que voici: « Le citoyen Legendre, d’après les ordres du citoyen «& Sarrette, ayant été requis avec le citoyen Vincent pour avoir 36 musiciens, lesquels se sont rendus le 15 messidor « au jardin national, d'après les démarches faites par le Cit. Legendre, la fête n'ayant pas eu lieu, il espère que le « citoyen Sarrelte prendra en considération la juste indemnité qu'il espère. Reçu quinze livres. »
© Le Moniteur universel p. 1175.