Napoléon Bonaparte, drame en six actes et en vingt-trois tableaux

NAPOLÉON. 43

LE MATELOT. C’est Ze Zéphyr , capitaine Andrieux.

NAPOLÉON. Canonniers.. à vos pièces ! (Aux soldats.) Tous sur le pont ; que chacun se couche avec son fusil à côté de lui et se tienne prêt. S'il ne nous attaque pas, nous le laisserons passer, enfans ; s’il nous attaque, nous le prendrons... Ah! ah!on l’aperçoit. Vrai Dieu ! il vient à nous comme un cheval de course. Trente-six bouches à feu! et nous n’en avons que vingquatre. Capitaine , qu'en dites-vous ?

LE CAPITAINE. Votre majesté commande ici.

NAPOLÉON. Allons, me voilà officier de marine : soit. Donnez-moi votre portevoix... Silence, enfans! le voilà qui nous parle.

On aperçoit le brick Ze Zéphyr qui croise l'Znconstant. Le capitaine est sur le pont avec un porte—vaix , et crie :)

LE CAPITAINE DU ZÉpuyr. Hé! pour quel port faites-vous voile ?

NAPOLÉON. Golfe Juan.

LE CAPITAINE. D'où venez-vous ?

NAPOLÉON. Île d’Elbe.

LE CAPITAINE. Comment se porte l’empereur ?

NAPOLÉON. Bien.

LE CAPITAINE. Bon voyage.

NAPOLÉON , rendant avec tranquillité le porte-voix au capitaine. Merci. Eh bien! monsieur le grand-maréchal, où en êtesvous de votre proclamation ?

LE GRAND-MARÉOHAL. Sire, il est impossible de la lire.

NAPOLÉON. Donnez. (Essayant de lire.) Maudite écriture. (La froissant dans sa main et la jetant à là mer.) Ecrivez :

« Proclamation de sa majesté l’empereur à l’armée.

» Au golfe Juan, 1er mars 1815.

» Napoléon, par lesconstitutions de l’empire, empereur des Français, roi d'Italie. » Soldats, ;

» Nous n'avons pas été vaincus. Deux hommes sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur pays, leur bienfaiteur.

» Soldats, dans mon exil j'ai entendu votre voix ; je suis arrivé à travers tous les obstacles et tous les périls. Votre général, appelé au trône par le choix du peuple et élevé sur votre pavois, vous est rendu. Venez le joindre. Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites, et quipendantvingtcinq ans ont servi de ralliement à tous les ennemis de la France. Arborez cette cocarde tricolore : vous la portiez dans vos grandes journées. Nous devons oublier que nous avons étéles maitres des nations,

mais nous ne devons pas souffrir qu’elles

se mêlent de nos affaires.

» Qui prétendrait être maître chez nous? qui en aurait le pouvoir? Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm , à Austerlitz, à Iéna, à Eylau , à Friedland , à Tuleda, à Eckmühl, à Essling , à Wagram, à Smolensk , à la Moscowa , à Lutzen ét à Montmirail. Pensez-vous que cette poignée de Français si arrogans puisse en soutenir la vue ? Ils retourneront d’où ils viennent, et, s'ils le veulent, ils règneront commeils prétendent avoir régné pendant dix-neuf ans.

« Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef; son existence ne se compose que de la vôtre; son intérêt, son honneur, sa gloire, ne sont autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge , et l’aigle impériale aux couleurs nationales volera de clocher en clocher, jusqu'aux tours de Notre-Dame.

» Dans votre vieillesse , entourés et considérés de vos concitoyens, ils vous entendront avec respect raconter vos'hauts faits: vous pourrez dire avec orgueil : « Et moi » aussi je faisais partie de cette grande ar» mée qui est entrée deux fois dans les » murs de Vienne, dans ceux de Rome, » dans ceux de Berlin, de Madrid, de » Moscou, ét qui a délivré Paris de la » souillure et de la trahison que la présence » de l’ennemi y avait empreintes. »

» Honneur à ces braves soldats, la gloire de la patrie ; et honte éternelle aux Français criminels, dans quelque rang que la fortune les ait fait naître, qui combattirent vingt-cinq ans avec l'étranger pour-déchirer Le sein de la patrie.

« Signé Naporéox »

LORRAIN. Si, ma parole d’honneur, c’est bien! J’en ai les larmes aux yeux, moi!.. Et pourtant je n’ai pleuré qu'une fois dans ma vie, quand j'ai quitté ma pauvre mère... Bonne femme !

LE MATELOT, dans les haubans. Terre !

Ux AUTRE. Terre !

NAPOLÉON. À genoux! enfans ; et VOus, messieurs, découvrez-vous: c’est la France! (Moment de silence solennel.) Et maintenant il n’y a plus à nous cacher. Hissez le pavillon tricolore et assurez-le par un coup de canon.

(Tous mettent leurs bonnets à poil au bout de leurs baïonnettes, en criant : Five la France!) NAPOLÉON , au général. Général, prenez

dix hommes, deux officiers ; allez recon=

naître la côte avec la felouque /a Caroline.

Œh bien! oui, mes amis, c'est notre