Observations du comte de Lally-Tolendal sur la lettre écrite par M. le comte de Mirabeau au Comité des recherches, contre M. le comte de Saint-Priest, ministre d'État

_ Le premier caraétere qui la diftingue , eft de s’exercer auprès des tyrans. Ainf , elle s’établit dans Rome , fous la dictature de Sylla, fous les regnes de Tibere, de Néron, de Caligula. Ain , les Anglois éprouverent fes ravages, & fous le defpotifme de Henri VIT, & fous celui du long parlement. Infenfble à Pintérêt public, elle n’obéit qu'aux intérêts perfonnels, aux plus vils de ces intérêts, à l’adulation 1 a la cupidité, à l'ambition. « On vit paroître , di Montefquieu, »,un genre d'hommes funeftes, une troupe de délateurs. » Quiconque avoit bien des vices & des talents, une ame », bien baffle & un efprit ambitieux, cherchoit un criminel. ». Cétoit le moyen de s'ouvrir la voie des honneurs & des » richeffes ».

Un caraëtère encore bien marquant de la délation, & qui eft une fuite néceffaire des autres, c’eft qu’elle pourfuit bien plus les bons qu'elle n’attaque les méchans ; qu’elle change en crimes des ations où même des paroles innocentes ; qu'elle va jufqu'à s'introduire dans l’intérieur des familles, pour en furprendre les fecrets & pour les déférer enfuite. Ainf , lorfqu’après avoir dénoncé comme coupable un citoyen vertueux; après vous être confumé en£forts pour trouver un crime dans fes paroles & même dans fon filence , vous finiffez par ofer le fuivre (pag. 16) dans l'intérieur de fa famille ; lorfque vous atteflez tous ceux qui l'y voient , & lui faites un grief de ce qu’on y jouit de la liberté privée la plus entiere & la plus illimitée dans: les opinions & les jugements, du droit de tour dire, de tout penfer, de tout efpérer ; 11 eft impoñible de méconnoître la délation.

Enfin, le dernier traït qui la cara@érife, c’eft qu’elle calomnie impunément. Ain, pour aider à fes profcriptions , pour multiplier les moyens d’exterminer les bons citoyens, & pour encourager la délation à les pourfuivre, comme coupables du crime de lefe-nation , Sylla porta une loi qui défendoit d’infliser aux délateurs la peine de calomnie, & qui ordonnoit de laiffer déclarer impunément Jur ce Jujet contre qui que ce foit(1). Mais ni Sylla, en défendant que la délation At punie, ni Tibere , en ordonnant qu’elle feroit récompenfée , nallerent jufqw’à la proclamer une vertu,

(x) Calumniatoribus nulla pæna fit. Lex Cornelia. Majeftes-eft, ut Sÿlla voluit, ut in guemvis impuné déclamari licear, Ciceron à Atticus.