Oeuvres littéraires : ouvrage orné d'un portrait

170 RÉFLEXIONS SUR LA DÉCLAMATION

Il faut toujours avoir l'air de créer ce qu'on dit. Il faut commander ses paroles, L'idée qu'on parle à des inférieurs en puissance, en crédit, et surtout ex esprit, donne de la liberté, de l'assurance, de lagrâäce même. J'ai vu une fois d’Alembert à une conversation chez lui, ou plutôt dans une espèce de taudis, car sa chambre ne méritait pas d'autre nom. Il était entouré de cordons bleus, de ministres, d’ambassadeurs, etc. Quel mépris il avait pour tout ce monde-là ! Je fus frappé du sentiment que la supériorité de l'esprit produit dans l’âme!.

1. On nous permettra de rapporter ici une anecdote qui n'est pas étrangère au sujet, et que nous croyons très peu connue. Le célèbre d'Alembert avait dans sa jeunesse le talent d'imiter à un degré de perfection qu'on aura peine à croire. Un jour qu'il dinait chez le marquis de Lomellini, envoyé de Gênes, ce ministre, instruit du talent de son convive, avait invité mademoiselle Gaussin et mademoiselle Dumesnil. D'Alembert imita successivement, et avec une vérité frappante, le ton, la voix, les gestes de Sarrazin, de Quinaut-Dufresnes, de Poisson, etc. Et comme ils étaient absents, il fit sortir les plus petits défauts qui se trouvaient dans leur débit. Mademoiselle Gaussin désira de se voir imiter. D'Alembert s'en défendit quelque temps, par la raison qu'elle était trop accomplie ; enfin il céda. L'illusion fut complète, mais très flatteuse pour mademoiselle Gaussin : car plus l'imitation était parfaite, plus elle eut de quoi être contente d'elle-même. On sent bien que mademoiselle Dumesnil voulut avoir son tour. Elle prit une attitude iposante, mais qui n'en imposa point à l’imitateur. 1l commence,