Oeuvres politiques de Fabre d'Églantine
PORTRAIT DE MARAT 249
assuré; le sourcil rare, le teint plombé et flétri; la barbe ñoire, les cheveux bruns et négligés ; il marchait la tête haute, droite et en arrière, et avec une rapidité cadencée, qui s’ondulait par un balancement de hanches : son maintien le plus ordinaire était de croiser fortement ses deux bras sur la poitrine. En parlant en société, il s’agitait avec véhémence, et terminait presque ioujours son expression par un mouvement du pied qu'il tournait en avant, et dont il frappait la terre, en se relevant subitement sur la pointe, comme pour élever sa petite taille à la hauteur de son opinion. Le son de sa voix était mâle, sonore, un peu gras et d'un timbre éclatant; un défaut de langue lui rendait difficiles à exprimer nettement le c et l’s, dontil mêlait la prononciation à la consonance du g, sans autre désagrément sensible que d'avoir le débit un peu lourd ; mais le sentiment de sa pensée, la plénitude de sa phrase, la simplicité de son élocution et la brièveté de son discours, effaçaient absolument cette pesanteur maxillaire. À la tribune, s’il y montait sans obstacle ni indignation, il se campait avec assurance et fierté, le corps effacé, la main droite sur la hanche, le bras gauche tendu en avant sur le pupitre, la tête en arrière, tournée en trois quarts, et un peu penchée sur l'épaule droite. S'il avait, au coniraire, à vaincre à la tribune les hurlements de l’aristocratie, les chicanes de la mauvaise foi et le despotisme d'un président, il attendait le calme avec constance, et la parole avec audace, il prenait une attitude hardie, croisait diagonalement ses deux bras sur la poitrine, et en s’effaçant vers la gauche, donnait à sa physionomie et à son regard un caractère sardonique, dont il ne manquait pas d'exprimer tout le cynisme dans son discours.