Oeuvres politiques de Fabre d'Églantine
PORTRAIT DE MARAT 255
pour s'en faire des armes, et pour qu'en raison des circonstances qu'ils préparaient, sa véracité fût un crime. Perfidie atroce! qui seule ouvrait à Marat l’abord de la tribune, que l’on interdisait à toute la Montagne.
Cette inhabileté dans la mesure ne prouve pas l’inexpérience de Marat, que ses écrits et sa perspieacité ne permettent pas d'admettre ; mais elle prouve sa naïveté. Quoique l’impusture des couleurs et du pinceau dont les traîtres se sont servis pour peindre ce Patriote semble exclure absolument en lui cette naïveté, il n’en est pas moins vrai que ce fut l’un des attributs distinctifs de son caractère. Celte naïveté dérivait en partie de sa forte sensibilité et de sa faiblesse; car si tous les hommes faibles ne sont pas sensibles, tous les hommes sensibles sont plus ou moins faibles, mais ils le sont.
« Les coquins, disait souvent Marat, me peignent cruel; mais qu’ils se trompent ! »
Oui, Marat était fortement sensible, et Marat était très faible. Puisqu'il était naïf, sensible et faible, Marat devait être crédule, et il l'était. Par ces qualités, apanage d’un bon naturel, que de maux les traitres ont faits à la Patrie ! Les perfides ont eu constamment le soin de le faire cerner et circonvenir par des hommes tantôt fourbes et patelins, tantôt affectant l’austérité ou la rudesse, mais jouant toujours le patriotisme, qui tantôt l'obsédaient de mensonges, tantôt exaspéraient son âme ardente, tantôt précipitaient ses combinaisons politiques, et tantôt le poussaient à l’imprudence de l'indignation. Les lumières, les talents et l'expérience ne balancent jamais la confiance d'un honnête homme; et quand le zèle est extrême, la confiance est sans mesure. à