Orateurs et tribuns 1789-1794
298 ORATEURS ET TRIBUNS.
Un ingénieux écrivain ‘ a comparé la France d'avant 1789 à un grand théâtre où s’exécutaient de magnifiques opéras. Les places y étaient mal distribuées; le parterre faisait les frais du spectacle et on le laissait debout, serré, mal à l'aise, pendant que les favoris de l'intrigue et du hasard se prélassaient mollement dans des niches dorées et d’élégants réduits. Mais la foule d’en bas jouissait, recevait le plaisir par tous les sens, tandis qu’on bâillait au-dessus d’elle : l'ennui des loges vengeait les gênes du parterre. Celui-ci, à la vanité près, n'était pas le plus mal partagé, en sorte que tout le monde était à peu près satisfait. Des hommes vinrent qui entreprirent de désabuser le parterre de ces jopissances et de lui persuader que ses plaisirs, quoique mêlés d’épines, n'étaient pas des plaisirs. Le théâtre était supporté par un pivot: ils lui imprimèrent un mouvement de rotation en le faisant tourner sur luimême. Ils ont amené sur la scène ce que les toiles et les rideaux cachaient, mis derrière ce qui était devant, devant ce qui était derrière. Ils ont ensuite troué les toiles, détaché les cadres etles poulies, coupé les cordes, dépendu les nuages, et, présentant à l'œil du spectateur tous ces débris huileux, noircis et enfumés: «Stupides admirateurs, s’écrièrent-ils, voilà les objets de votre enchantement ! Voilà vos dieux, vos aïeux, vos rois et vos héros ! Prosternez-vous encore ! »
1. D'Escherny, La Philosophie de la politique, 2 vol.