Portalis : sa vie, et ses oeuvres

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Quelque habile que soit cette argumentation, elle n’en est pas moins dangereuse: elle contient, en germe, la théorie du salut public. Les droits de la nature et les besoins de la société sont, pour la souveraineté, une base bien peu solide, une barrière bien fragile. La vraie limite est le droit individuel, et, dans une définition complète de la puissance de l’État, il est impossible d’omettre ce principe, sans ouvrir, volontairement ou non, la voie à l’absolutisme socialiste. Portalis, qui avait tant de fois combattu cette doctrine, ne pouvait évidemment songer à la justifier; mais sa parole, en cette occasion, le sert mal et prête à de fâcheuses interprétations. Il insiste, plus loin, sur sa pensée primitive en l’aggravant:

« L'unité de la puissance publique ef son univer» salité sont une conséquence nécessaire de son indé» pendance : la puissance publique doit se suffire à » elle-même, elle n’est rien si elle n’est tout; les » ministres de la religion ne doivent point avoir la pré» tention de la partager nide la limitert.»

Dans ce passage encore, l'erreur et la vérité se succèdent et se heurtent. Proclamer l’unité de la puissance publique, c’est poser le principe constitutif de la société civile; en affirmer l’universalité, c’est autoriser le despotisme. Déclarer que la puissance publique doit se suffire à elle-même, c’est simplement en réclamer l’indépendance; prétendre qu’elle n’est rien si elle n'est

1. Portalis, Discours, rapports et travaux inédits sur le Concordût, page 87.