Rouget de Lisle : sa vie, ses œuvres, la Marseillaise

— 199.

« Les malheurs de mon pays me ramènent sur les rangs et raniment une voix dont vous accueillites quelquefois la franchise et même l’austérité !

« Puisse-t-elle parvenir jusqu'à vous! Puisse-t-elle retrouver dans votre àme les sentiments que vous aimâtes jadis à m’y voir chercher!

« Bonaparte ! vous vous perdez; et ce qu’il ya de pire, vous perdez la France avec vous.

« Qu’avez-vous fait de la liberté? qu’avez-vous fait de la République? où en sommes-nous? À quoi se réduisent aujourd'hui les destinées superbes auxquelles votre 18 brumaire avait reconquis cette malheureuse France ?

« Écartez le prisme imposteur de l’ambition, de l’amour-propre, d’une fausse prospérité.

« Écartez les nuages formés autour de vous par l’encens infect d’une tourbe adulatrice et perfide.

« Ouvrez les yeux et voyez.

« Voyez le peuple frappé de stupeur par l’envahissement cuccessif de tous ses droits, haletant dans les angoisses de l’incertitude, effrayé de voir son indépendance, son existence remise en problème, tourmenté dans ses affections les plus chères, écrasé sous le poids des impôts, des calamités publiques et privées, ne pouvant rien espérer de la guerre et n’osant désirer la paix.

« Voyez l’armée horriblement mutilée par l'expédition dévoratrice de Saint-Domingue, sevrée de presque tous les chefs dont elle s’honorait, s’indignant à l'aspect des ennemis qu'elle a vaincus et qui se partagent avec quelques courtisans le prix de son sang et de ses travaux, frémissant dans la lutte actuelle de trouver son courage restreint aux chances d’une entreprise aventureuse qui peut compromettre sa gloire, et dont le succès, impossible peut-être, serait à coup sûr éphémère et tout au moins infructueux pour la chose publique.