Rouget de Lisle : sa vie, ses œuvres, la Marseillaise

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nuage d’où plusieurs mains s’avancèrent et déposèrent entre les siennes un instrument de forme inusitée, que je crois pouvoir appeler une harpe-lyre. Elle en tira quelques arpèges ; puis, d’une voix douce et faible, qui faisait vibrer toutes les fibres du cœur, elle chanta son Jai. Au moment où il finissait, un bruit lugubre se fit entendre dans le nuage, Rosa, le sopha, le pavillon disparurent, ef je m'éveillai.

« Ma première pensée, comme on peut le croire, se reporta vivement sur cette apparition, sur l’injonction expresse que Rosa m'avait faite de ne point oublier sa romance.

« L'air vint de lui-même s'offrir à mon esprit. Je me levai immédiatement et m’empressai de le copier, à la clarté de la lune qui brillait encore. Une fois cet air fixé, j'en déterminai facilement le rythme, et fort de ces données, je me flatiai de retrouver sans peine les paroles : je m’abusais. Soit que le trouble où m'avait jeté Rosa eût détourné mon attention, soit que mon extrême désir de remplir l'espèce de mandat que j'avais reçu paralysät ma mémoire, elle fut tout à fait en défaut.

« D’inutiles efforts achevèrent de brouiller mes idées, et non seulement l’ensemble de ces paroles m’échappa, mais il me fut impossible de m'en rappeler une seule, ni le sens général de la romance, ni rien de ce qui m'aurait mis sur la voie. Ce que je vais dire vous paraîtra puéril.

« J'avais à cœur de répondre à la confiance de Rosa, et l'impuissance définitive où je me voyais à cet égard me tint plusieurs jours au supplice. À diverses reprises j'essayai de parodier sur cette mélodie quelques paroles analogues. Ge que je fis était si loin de ce que j'avais entendu, de cette ingénuité, de cette mélancolie dont l'impression m'étaii restée, quoique vague el fugitive !