Souvenirs de Russie 1783-1798 : extraits de journal de Mme Leinhardt
SOUVENIRS DE RUSSIE 11
qui n'est pas bien pénible. » Les petits jeux consistaient entre autres dans le loto-dauphin, auquel l'Impératrice s’adonnait avec entrain, ainsi qu'au jeu des toupies. Celle qui tournait le plus longtemps gagnait toutes les autres. La Cour voyait dans ces jeux — bien innocents — « un délassement d'esprit ».
Le lancement d'un navire était aussi une occasion de fête à laquelle l'Impératrice prenait une part très active. Le 8 octobre 1783, Mie L. assista au lancement de deux vaisseaux de guerre, l'un de 110 canons, l’autre de 74, et elle décrit cette cérémonie imtéressante en ces termes : « Le temps est très beau et la foule immense. L'arrivée de l’Impératrice et celle de Leurs Altesses Impériales le grand-duc Paul et sa femme — est annoncée par les tambours qui battent aux champs. L'archevêque bénit le grand vaisseau et le baptise au bruit des acclamations et de la musique. On chante le Te Deum. L'Impératrice, sur une chaloupe découverte, fait le tour des vaisseaux. » Ce spectacle excita l'enthousiasme de Mie L. qui composa sur ce sujet trois strophes « pas mauvaises », dit-elle, mais qu'elle a négligé de transcrire dans son journal.
Les jours de grandes fêtes, la noblesse des cinq classes avait l'honneur de manger avec l’Impératrice. La table était en fer à cheval ; l'Impératrice était placée entre le grand-duc et l'archevèque ; vis-à-vis d'elle, le gentilhomme de la chambre, qui était de service, se tenait debout ; son office consistait à découper pour elle et à la servir, c’est-à-dire à lui présenter l'assiette.
Ici, une anecdote de cour trouve naturellement sa place. A la date du 11 octobre 1785, M'!° L. écrit : « Lundi passé, fête du couronnement, l’Impératrice ayant accordé le cordon de Saint-Wladimir au comte Roumianzolf, son ministre à Francfort, la grand'mère de celui-ci, dame d'honneur du temps de Pierre le Grand, mais qui, ayant près d'un siècle, avait quitté la Cour depuis plusieurs années, voulut, suivant l'usage, se rendre encore une fois à la Cour pour remercier l’Impératrice. Celle-ci, en étant avertie, lui permit d'y venir en bonnet avec ses habits ordinaires. On l’apporta dans sa chaise jusqu'à l'entrée des appartements où elle fut reçue par un autre de ses petits-fils, le général-major, qui la conduisit Jusqu'à sa place. Quand l'Impératrice sortit de son appartement, elle se leva, mais l'auguste souveraine l'obligea de s'asseoir et se tint debout auprès de la bonne vieille, que l’on peut appeler à juste titre de la