Souvenirs de Russie 1783-1798 : extraits de journal de Mme Leinhardt
SOUVENIRS DE RUSSIE 59
Le 12 juillet : « Hier, la Cour est rentrée en ville. En arrivant, le matin, Sa Majesté s'est rendue à la forteresse avec loule sa suite pour chanter le Te Deum. On dit que rien n'était plus touchant que de voir la grande-duchesse qui, l'âme affectée du prochain départ d'un époux qu'elle adore, n’osait laisser couler ses larmes dans le moment d’une solennité publique. Elle épiait les instants où l'Impératrice détournait les yeux pour vite essuyer les larmes qui étaient prêtes à s'échapper de ses paupières. En revenant au palais, on dina à l'Hermitage. Czernicheff — le page de chambre — m'a dit qu'on n'osait presque pas se regarder. Au sortir de table, chacun se retira, hormis Leurs Altesses. Le grand-duc prit alors congé de son auguste mère qui fondit en larmes ainsi que lui. Son épouse était dans le plus grand désespoir, au point que, au sortir de cette scène, il fallut la soutenir pour la conduire chez elle. »
Le 13 : « Le grand-duc est parti ce matin à sept heures, et Madame est revenue en ville à neuf, dans un carrosse dont tous les stores étaient baissés. »
Le 14 : « Le manifeste touchant la guerre avec les Suédois fut lu hier à la messe de la Cour. Après la lecture, on a chanté le Te Deum. Les chantres de la Cour, qui sont admirables, étaient partagés en deux chœurs ; l’un invoquait le secours de Dieu et l’autre répondait : Dieu sera avec nous! Quand ces chants furent finis, le métropolite s’approcha de l'Impératrice et lui fit une courte exhortation en langue russe. Les ministres de la religion ont le droit de tutoyer les souverains. Il lui disait, entre autres : « Tu as bien fait d'envoyer ton fils au-devant de l'ennemi, car tu dois préférer ta patrie à tes enfants ; tu dois tout sacrifier pour elle! » L’Impératrice pleurait à chaudes larmes; ses sanglots l’empêchaient presque de répondre. Elle dit cependant qu’elle comptait sur la fidélité de ses sujets qui, dans cette circonstance, lui donneraient toutes les preuves d’attachement qu’elle pouvait désirer et qu'elle aussi était prête à se sacrifier pour le bien de son empire. »
Le 20. [Chaleurs excessives] : « Pendant ces chaleurs, notre voisin, qui n’est plus notre ami, fait le brave et nous parle comme s’il nous avait déjà vaincus, On doit lui rendre la Finlande jusqu’à Sistobor (?), rendre la Crimée aux Turcs et rester désarmés jusqu’à la conclusion de tous ces points. Il est aisé de se représenter quelle réponse on a faite à de pareilles propositions. Il ne reste plus qu’à