Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

106 SOUVENIRS D'OCTAVE LEVAVASSEUR

Le sentiment d’indifférence s'était communiqué à toute l’armée et au dernier des soldats. La vue des champs de bataille, le spectacle continu des morts et des blessés, couchés sur la terre ou remplissant les abris environnants, finissent par rendre le militaire insensible et inhumain. Tel était ce soldat qui, entendant un de ses camarades pousser des cris d’agonie, lui disait grossièrement : « Veuxtu te taire! » Un autre, arrachant les souliers d’un moribond, disait en lui caressant ironiquement le visage : « Il faut mourir là, mon ami. » Il est affligeant de dire que cette disposition d’esprit et le mépris de la mort aidaient à remporter la victoire. Fidèle à l’usage que j'ai adopté de donner quelques détails sur la manière de vivre de l’armée, je joindrai ici des renseignements concernant les subsistances des états-majors.

Dans l'état-major, la vie militaire offre mille avantages. Les officiers de ce corps bivouaquent rarement. Les généraux occupent les meilleurs logements, dans lesquels ils trouvent amplement à se faire servir au moyen des seules ressources de la maison. Si parfois ils tombent sur un point où manquent les provisions, ils emploient celles que contiennent les fourgons; ils ont en outre part aux distributions de viande sur pied que l’armée peut se procurer; les cuisiniers et chefs d'office s’arrangent toujours pour que la bonne chère ne fasse jamais faute.