Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

CAMPAGNE DE 1807 . EYLAU, FRIEDLAND 1405

Nous nous mîmes en route le lendemain 12, en continuant à presser l'ennemi. Enfin nous arrivâämes au centre de la Pologne.

Pendant ces différentes marches, Napoléon passait le long des colonnes d'infanterie : il observait avec le plus grand soin de ne pas gêner le soldat dans sa course pénible, car le soldat, quoique l’aimant beaucoup, ne le ménageait pas par ses propos. Il faisait un temps effroyable, et j'entendis, une fois, dire en présence de l'Empereur : « Il devrait bien prendre des soldats de bonne volonté. » Un autre répondait : « Il n’en aurait guère. » « Chien de métier, disait un troisième, il lui en faut plus de cent mille par an. » — « Dis donc deux cent mille », reprenait un autre interlocuteur. Des paroles de ce genre frappaient fréquemment l'oreille de l'Empereur qui en riait ainsi que nous.

J'ai souvent remarqué que, dans les grâces qu'il distribuait aux militaires qui s'étaient distinsués, l'Empereur récompensait encore plutôt les services que ses officiers devaient lui rendre que les services qu'ils avaient rendus, et qu'il n’avait aucun sentiment d'humanité. Des militaires transportaient un jour devant lui, sur les derrières, leur officier blessé. « Sera-t-il estropié? » demanda-t-il en passant. — « Oui, Sire », lui fut-il répondu. « Allons, faites rejoindre, faites rejoindre », dit-il aux officiers qui l’entouraient, et ces braves militaires furent contraints de déposer à terre leur blessé et de rejoindre leur compagnie.