Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

CAMPAGNE DE 1813 185

À Dresde, l'Empereur, cerné de toutes parts, fut obligé d’évacuer cette ville et de soutenir en avant de Leïipsick le choc de toutes les armées réunies. Contrairement à sa tactique ordinaire, il avait permis à ces vieilles troupes, aguerries par leurs longues luttes, de combiner les forces de cinq

déduisit les motifs qui l'avaient conduit sur la trace de la pensée de Napoléon. L'Empereur fut étonné de la sagacité de cet esprit ingénieux. À partir de cette époque, Jomini, lorsqu'il rencontrait l'Empereur, était l’objet de ses prévenances et de ses questions. L’état-major de Napoléon comptait plusieurs chefs qui auraient vu avec peine arriver Jomini parmi eux. On prétend même que le prince Berthier n'était pas étranger à ce sentiment de répulsion et que chaque fois que le maréchal Ney citait le nom de Jomini dans un rapport, ce nom était biffé impitoyablement. Jomini avait le grade de général de brigade; | Ney le proposait depuis longtemps pour le grade de général de division. Des propositions ayant eu lieu plusieurs fois sans que son nom fût sorti, Jomini en conçut une amère douleur. La veille de la bataille de Lutzen, le corps du maréchal Ney était cantonné en face des Russes. À minuit, Jomini, après avoir écrit une lettre au maréchal, chargea l’un des officiers d’étatmajor de la porter, puis, ayant fait seller un cheval, il partit suivi d’un vieux hussard qui ne l'avait pas quitté depuis quinze ans. Il traversa silencieusement les lignes françaises, marquées par les feux mourants des bivouacs. Ayant dépassé les dernières vedettes, le vieux hussard demanda à son général où il allait. « Chez les Russes! » répondit Jomini. — « Je vous suivrai en enfer si vous voulez, dit le vieux soldat, mais jamais là. Mon général, qu'allez-vous faire! » Jomini piqua des deux et se perdit dans l'éloignement. Il a dit depuis qu'à ce moment terrible, où il trahissait la France et son serment, la parole du vieux hussard avait fait vibrer en lui les cordes les plus sensibles et qu’il serait retourné sur ses pas s’il n'avait écrit au maréchal pour lui annoncer sa détermination. La fin de Jomini fut triste : sans cesse préoccupé de sa honteuse action, il ne pouvait l'oublier qu’en buvant. (Note d'O. Levavasseur.)

— Il y a lieu de reporter à un peu plus tard, au mois d'août, après Bautzen, le départ de Jomini qui n’emporta, dit SainteBeuve, ni plans à communiquer, ni secrets militaires et arriva au quartier général des Alliés avec Moreau. (Note de l'éditeur.)