Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

318 CHAPITRE HUITIÈME.

depuis dans cet asile inviolable, et ses émules devaient y venir l'un après l’autre fuir et braver le maître du contiment européen.

Un jour de janvier 1806, d'Antraigues, ouvrant le Moniteur que lui envoyait l'ami de Paris, y lut le bulletin impérial annonçant à l'Europe la chute des Bourbons de Naples; ce bulletin se terminait par ces mots « Qu'elle (la reine Marie-Caroline) aille à Londres augmenter le nombre des intrigants, et former un comité d'encre sympathique avec Drake, Spencer Smith, Taylor, Wickham; elle pourra y appeler, si elle le juge convenable le baron d’Armfelt, MM. de Fersen, d'Antraigues (1)... »

Le trop ingénieux interprète de Polybe comprit; il était poussé, relégué d'avance sur la Tamise par l’implacable vendetta de Napoléon. S'il résistait à cette sommation, une nouvelle campagne diplomatique allait commencer contre lui, et cette fois pour la soutenir il n'aurait plus derrière lui Czartoryski, dont la retraite était prévue. Il savait, d'autre part, la guerre prochaine en Allemagne, et les Français à quelques étapes de Dresde. Dès lors il voyait en perspective des scènes renouvelées de Trieste et de Milan, avec un dénouement plus tragique : « Si vous êtes pris, lui écrivait-on de Paris, vous serez fusillé dans les vingt-quatre heures. » La crainte de tomber entre les mains de ses compatriotes l’emporta sur l’appréhension de ne pouvoir servir ailleurs, aussi bien qu’à Dresde, son pays d'adoption.

Il écrivit donc aussitôt à l’empereur (12 janvier) pour solliciter un changement de résidence, et il n'eut pas de

(4) 37° bulletin de la Grande Armée, dans le Moniteur du 5 janvier 1806.