Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

48 CHAPITRE DEUXIÈME.

l’arrivée de Loménie de Brienne aux affaires (1); devenu l'approbateur intrépide des hommes en place, il demeurait en théorie l'adversaire du gouvernement. C'était imiter son ami Vaudreuil, ce parfait courtisan qui souriait aux épigrammes frondeuses de Chamfort, et donnait à l'entourage royal la primeur du Mariage de Figaro. D'Antraigues fit mieux : il publia en 1788 un livre applaudi avec fureur par ceux qui préparaient la chute de l’ancien régime. Disciple de Rousseau, citoyen du monde, il n'attendait que l'occasion pour s'épancher en idées générales et en sentences de haute métaphysique politique ; il restait néanmoins, sous son enveloppe philosophique, un gentilhomme de province, enviant tout bas le sort des nobles de cour et haïssant leur despotisme (2). Il se fût reconnu, s’il eût daigné descendre en lui-même, le descendant légitime des frondeurs, des huguenots, des barons du moyen âge, voire des leudes mérovingiens.

De plus, né en Languedoc, habitant le Vivarais, il s’indignait des abus locaux comme de la tyrannie générale. Or, que voyait-il autour de lui? Le Languedoc était gouverné par une oligarchie toute-puissante, personnifiée

chures si bien payées qu'un jour le comte en emporta 100,000 livres. » (Mémoires de Maurepas, t. IV, p. 254.) Ces mémoires ont été rédigés dans le cabinet de Soulavie, auteur très suspect, mais compatriote de d’Antraigues et on ne peut mieux informé à son égard.

(1) « Enfin l’archevèque de Toulouse est chef du conseil des finances. Il est l'ami intime de mon oncle et fort attaché à mes amis dans ce pays-ci. » (D’Antraigues au baron de Chadenède,

mai 1787.— C. P.)

(2) « On était si las de la cour et des ministres que la plupart des nobles étaient ce qu'on à appelé depuis démocrates. » (FErRIÈRES, Mémoires.)