Charles de Butré 1724-1805 : un physiocrate tourangeau en Alsace et dans le margraviat de Bade : d'après ses papiers inedits avec de nombreux extraits de sa correspondence...

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qui surgissaient au sein d’une malpropreté vraiment épique, tout ce qui me semblerait de quelque intérêt pour la Bibliothèque municipale, et j'en tirais successivement, non sans un travail ardu, plus de deux mille volumes, de valeur fort inégale, il est vrai, mais dont plusieurs étaient rares. Ce n’est pas d’eux pourtant qu'il s’agit ici. En effet, un voyage d’exploration plus minutieux m'amena dans une espèce de hangar ou de soupente en ruines, dont le toit, ébrêché par les bombes, laissait pénétrer depuis bieu des hivers la neige et la pluie. C’est là que je découvris un amas de paperasses à moitié pourries, formé d’imprimés et de manuscrits gisant pêle-mêle, et sur lesquelles les poules du vieux Fritz avaient niché, tandis que les moineaux et les hirondelles y prenaient leurs ébats journaliers. Les couches supérieures de ce massif bibliographique étaient absolument détruites par les intempéris des saisons, si bien qu’en essayant une timide enquête sur leur contenu, j'enfonçais mon doigt tout au travers du rarissime cinquième volume de l'Argos, d'Euloge Schneider; on voit d'ici la figure d’un collectionneur acharné d’alsatiques en présence d’un pareil désastre!

Cependant le tout me sembla mériter un examen plus approfondi, avant de consigner définitivement ces détritus apparents à une mort ignominieuse. Et quand, au bas d'une lettre, sur un feuillet presque illisible, j’eus déchiffré le nom de Mirabeau, je fus saisi d’un beau zèle et me promis de ne reculer devant rien pour mener à bon terme l'exploration d’un trésor qui ne payait pas d'apparence. Grâce à la bienveillante autorisation de M. Schoop, ce tas à l'aspect si peu engageant était transporté, dès le lendemain, à la Bibliothèque de la ville, et je consacrais de longues semaines au triage de ces papiers, manuscrits dépareillés, correspondances éparses, brochures révolutionnaires, etc., condamnant au feu ce qui ne pouvait absolument pas être conservé — c'était la majeure partie, hélas ! — séchant et nettoyant tant bien que