Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 59

dons qui permettent de ne pas se tenir à la remorque des hommes et des événements, mais de les dominer.

La Fayette n’en fut pas entièrement privé. Nous l’avons vu faire aboutir par sa persévérance plusieurs entreprises importantes. Il sut discerner le mérite et même, quand celui-ci était éclatant, s'y attacher d’une admiration qui n’était pas celle de tout le monde. Au moment où Washington rentre dans la vie privée, en juin 1783, il lui écrit : « Jamais homme n'a eu dans l'opinion du monde une place aussi honorable, et voire nom grandira encore, s'ilest possible, dans la postérité. Tout ce qui est grand, tout ce qui est bon, ne s'était pas jusqu'à présent trouvé réuni dans le même individu. Jamais il n'avait existé d'homme que le soldat, l'homme d’État, le patriote et le philosophe pussent également admirer, et jamais révolution ne s'était accomplie qui, dans ses motifs, sa conduite et ses conséquences, püt si bien immortaliser son glorieux chef. Je suis fier de vous, mon cher général, et tandis que le monde vous contemple, je jouis de penser et de dire que les qualités de votre cœur sont encore préférables à tout ce que vous avez fait. » (II, 78.) Il rendit aussi justice aux talents de Bonaparte dès sa sortie de prison en 1797 (lettre LV); mais en 1805 il a encore l'illusion que la liberté politique est compatible avec l'empire. « J'avais de l'attrait pour Bonaparte, écrit-il alors; j'avoue même que, dans mon aversion de la tyrannie, je suis plus choqué encore de la soumission de tous que de l’usurpation d'un seul. » (V, 239.) Bonaparte lui avait dit : « Malgré votre sévérité sur les actes du gouvernement, il y à toujours eu de votre part de la bienveillance personnelle pour moi. » Il avait raison, pense La Fayette :