Entre slaves

LA SERBIE EN 1885 25

cabinet du ministre, fournit toute la journée le liquide bienfaisant aux employés.

Des paysans attardés regagnent à pas lourds leurs villages. Les femmes de Semlin, qui apportent chaque jour à Belgrade les légumes, le lait, la viande même, retournent en hâte au bateau, toutes chargées de sacs et de paniers. On coudoie un turc; un tzigane tout déguenillé, passe rapide, le nez au vent, toujours à la recherche d’une bonne aubaine. Les réservistes de la ville, le fusil sur l’épaule, s'arrêtent, causant avec les amis, racontant leur journée, d’autres, venant des environs, sont réunis pour l’appel dans un cimetière voisin. Singulier lieu de rendez-vous qui pourrait inspirer quelques funèbres réflexions à ces futurs combattants. Ils n’y pensent pas; ils sautent gaiement, comme des enfants, par-dessus les tombes, leurs costumes blancs narguant encore la teinte mélancolique des cyprès autour desquels ils s’agitent.

Non loin de là, autour d’une des rares fontaines de la ville, les filles brunes aux jambes nues, aux yeux noirs, forment un cercle multicolore de jupes bariolées, usées, de chemises et de corsages percés, entr’ouverts, d’où s’échappent des chairs fermes, brunies par l'air et par le soleil, que les j jeunes rieuses exposent insouciamment.

A côté, passe au milieu de l'indifférence générale un groupe de forçats, conduit par un soldat. Ils viennent de travailler à la forteresse, mais ils n’ont

guère souci de leur infâme condition. Si on les re-

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