Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

248 LE JOURNAL D'UN ÉTUDIANT

la palme. L'éloquence des autres est maniérée, sophistique, raffinée, académique, et n'a point de caractère prononcé. Celle du jeune Ducos est intéressante; tout ce qu'il dit attache ou émeut ; tous ses discours sont imbus de sentiment ; il vous persuade en vous attendrissant ; il parle à votre sensibilité.

« L'éloquence de Vergniaud a quelque chose de plus nerveux, de plus mâle, de plus hardi ; sa logique est ‘serrée et rapide; chacun de ses raisonnements est un trait de lumière ; sa dialectique est forte et animée, il convainc plus qu'il ne persuade, il parle à votre raison.

« Isnard est doué d'une éloquence sublime, c’est le terme technique ; chez lui, tout est élevé, il plane dans les nues; il ne parle jamais sans employer les images les plus grandes, les plus fortes, les peintures les plus frappantes ; les plus capables de laisser dans l'âme des auditeurs une impression vive et durable. On croirait voir en lui Pindare à la tribune. IL n’est pas de sentiments dont il ne sache pénétrer une assemblée nombreuse, il n’est pas de passions qu'il ne sache exciter, remuer de la manière la plus profonde et la plus pathétique. Il sait verser à grands flots l'enthousiasme qui l'anime dans l’âme de ses auditeurs, il persuade moins qu'il n’inspire, il parle à votre imagination. Plus les auditeurs sont nombreux, plus l'orateur parvient à les électriser.

« Après cette légère esquisse de ces différents genres