Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)
582 LE JOURNAL D'UN ÉTUDIANT
nous étions tous trois malades et souffreteux, aussi nous a-t-elle paru fort longue en dépit de tous les agréménts qu'offrait à nos regards le spectacle des campagnes vertes el fleuries. La chaleur était du reste excessive. Chaudruc et Choïet étaient montés dans un étroit chariot, trainé par deux bœufs. Pour moi, armé d'un aiguillon hâtif, je m'avançais aussi vite que mon extrême faiblesse pouvait le permettre sur les pas de ces animaux nonchalants. Toute pénible que m'ait été cette route, je préférais le plus souvent aller à pied que de monter dans le chariot, où nous étions fort mal à notre aise et horriblement cahotés; c'est cependant dans ces misérables tombereaux, sur ces routes hérissées de cailloux, que l’on transporte les blessés et les malades. Aussi dans la dernière évacuation de l'hôpital militaire de Saint-Jean-Pied-dePort sur celui de Saint-Palais, cinq de ces malheureux expirèrent au milieu de la route sur ces bières ambulantes : défenseurs de la patrie, voilà comme on nous traite, voilà comment d'iniques administrations, de rapaces concussionnaires insultent à l'humanité, et se jouent de notre vie. Mais quel homme aujourd'hui osera faire entendre les rugissements de l'indignation ? Quel homme osera dire ces courageuses vérités? Le crime triomphe partout et les lois se taisent!
« Pardonne-moi cette digression échappée d'un cœur ulcéré depuis longtemps par les indicibles attentats qui se commettent en tous lieux avec la plus ré-