La correspondance de Marat
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LA CORRESPONDANCE DE MARAT 47
aux ministres que vous démasquiez, au despote que vous combattiez, aux grands que vous accabliez, aux sangsues de l'État, auxquelles vous vouliez faire rendre gorge, Si, décrété tour à tour par les jugeurs iniques dont vous auriez dénoncé les prévarications, par le législateur dont vous démasqueriez les erreurs, les iniquités, les desseins désastreux, les complots, la trahison; si, poursuivi par une foule d'assassins armés contre vos jours; si, courant d'asile en d'asile, vous vous étiez déterminé à vivre dans un souterrain pour sauver un peuple insensible, aveugle, ingraf ! Sans cesse menacé d’être tôt ou tard la victime des hommes puissants auxquels j'ai fait la guerre, des ambitieux que j'ai traversés, des fripons que j'ai démasqués; ignorant le sort qui m'attend, et destiné peut-être à périr de misère dans un hôpital, m’est-il arrivé comme à vous de me plaindre? Il faudrait être bien peu philosophe, monsieur, pour ne pas sentir que c’est le cours ordinaire des choses de la vie; et il faudrait avoir bien peu d’élévation dans l’âme, pour ne pas se consoler par l'espoir d’arracher, à ce prix, 25 millions d'hommes à la tyrannie, à l’oppression, aux vexations, à la misère, et de les faire enfin arriver au moment d’être heureux.
Quant à vous, monsieur, vos destinées sont un peu différentes. Vous avez sacrifié les adorations d’un peuple idolâtre aux sourires d’une cour perfide, dont peut-être vous avez encore perdu la faveur : mais il vous reste des trésors. Vous ne passez plus pour Aristide, mais vous êtes encore Luculle ; est-il un seul monarque qui ne s’empressât de vous offrir une retraite honorable, est-il un seul plaisir dans la vie que puisse donner la fortune, et qui vous soit refusé? Voluptés, honneurs, dignités, tout vous attend. Vous pouvez disposer de tout, excepté de l'estime du cœur droit et des âmes élevées, ou de la gloire qui n’est pas non plus le prix de l’argent. .
Quoi qu’il en soit, M., si votre retraite n’est pas jouée, dès aujourd’hui je m’impose à votre égard un éternel
NS