La révolution française à Genève : tableau historique et politique de la conduite de la France envers les Genevois, depuis le mois d'octobre 1792, au mois de juillet 1795

[ 9 ]

la généreufe bienfaïfance de tous ceux de fes habitans qui étaient au-deflus de l’étroit nécefaire ; dans cette Genève, où la bienfaifance femblait un fond intariffa-

fa marche : ils fe gardent bien de dire au peuple, que, par une loï antérieure à tontes les inflitutions humaines, l’état de l’homme eft un état de travail; que ce travail, tout pénible qu’il eff, n’en eft pas moins fupportable & néceflaire; que pour en entretenir Pindifpenfable habitude, il faut avant tout affurer la jouiffance des fruits de la terre à ceux qui la cultivent ; que cette jouifflance, ou en d’autres mots, la propriété, a toujours été la première convention exprefle ou tacite de tout rafflemblement d'hommes quelconque ; qu’enfin les loix d’un pareil raffemblement ne font parfaites, & les individus qui le compofent heureux & libres, qu’autant que leurs propriétés y font inviolables, c’eft-à-dire, autant que celles-ci fe trouvent également protégées, d’un côté, contre toute entreprife individuelle de la force phyfique qui tenterait de braver les loix; de l’autre, contre Ja rapacité de ceux qui les diétent, ou les attentats des miniftres qui les exécutent. En effet, c’eft fur les loïx qui affurent & protègent les propriétés que repofe & roule tout l'édifice focial; carfile premier, l’unique aiguillon de lPinduffrie eft dans la jouiffance affurée des fruits qu’elle recueille, il en réfulte non-feulement que les divers degrés de cette induftrie font la caufe première de la diftribution inégale des propriétés, mais aufi que l'inégalité de cette diftribution devient caufe en même temps qu’elle était effet: en forte que par cela feul qu’elle doit fa paiflance à l’induftrie, elle fait jaïllir à fon tour une multitude de nouvelles fources d’induftrie, lefquelles forment encore un millier de canaux dont on voit naître une foule d’émulations, & par conféquent de nouvelles propriétés, ainfi de fuite à infini, jufqu’à ce que ce cercle prolongé de répraduétions mutuelles & de réaétions continues, complette cette grande & belle machine fociale dont le mouvement perpétuel eft deftiné par-deflus tout à préferver la propriété inviolable. Mais tandis que l’obfervateur attentif y admire l’équilibre de tant d'elémens 6ppofés, & l'harmonie parfaite de tant de roues, leur admirable éngrenage ef prefqu’e entièrement inapperçu par la _ foule