La Serbie

Ilme Année. — No 32

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Prix du Numéro : 10 Centimes

Paraissant tous les Samedis

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_Démarch

Les gouvernements serbe et grec ont remis la semaine passée à Washington une note collective relative aux bruits des propositions de paix faites par la Bulgarie aux Allés et dont plusieurs journaux britanniques se sont fait l'écho. Dans cette note, la Serbie et la Grèce constatent d'abord qu'une paix éventuelle entre les Alliés et la Bulgarie, c'est surtout la paix entre la Serbie et la Grèce d’une part et la Bulgarie de l’autre, et que par conséquent c'est avec les gouvernements serbe et grec que la Bulgarie devrait traiter. Ceci d'autant plus si cette paix doit comporter une cession quelconque des territoires serbes ou grecs, comme le « Manchester Guardian » l'a généreusement suggéré l'autre jour. Cela se comprend de soi-même et la note serbo-grecque ne le rappelle qu'incidemment. La paix, soit générale, soit partielle, ne sera naturellement conclue qu'avec le libre consentement de tous les Alliés. Même s’il n'existait pas, ce pacte du 4 septembre 1914, liant les Alliés à une paix commune, la coalition alliée, d'après sa structure et son idéologie n’admet pas d'autre solution. De ce côté là, tout Serbe ou Grec peut dormir tranquillement.

Ce qui est plus important, c'est la seconde partie de la note où l'on explique le véritable caractère des tentatives de rapprochement bulgares. Que les deux gouvernements balkaniques se sont décidés à attirer publiquement l'attention des pays alliés sur les manœuvres bulgares, cela signifie manifestement que les diplomates alliés ne sont pas encore tout à fait guéris de ce qu'on à appelé si judicieusement le mirage bulgare. Malgré toutes les expériences antérieures, une partie de la diplomatie alliée persiste donc dans l'illusion de voir la Bulgarie non seulement se séparer de ses alliés actuels, mais de se tourner même contre l’AutricheHongrie et l'Allemagne ! La note serbo-grecque insiste avec raison sur la loyauté des Alliés et souligne le caractère fallacieux des éventuelles propositions bulgares. La Bulgarie travail dans l'intérêt de l'Allemagne dont elle fait le jeu. L'Allemagne, affirme la note, désire d'ouvrir une discussion de paix partielle, dans l’espoir qu'elle se généralise. Elle pousse la Bulgarie en avant pour éviter les suspicions que sa demande propre éveillerait, mais en réalité c'est elle qui encourag? les tentatives de Sofia de se mettre en communications avec les Alliés. Par une telle action, elle continue l'offensive pacifiste que l’empereur Charles a si brillament inaugurée. N'ayant pu obtenir une victoire militaire, l'Allemagne essaie donc de s'assurer au moins un succès diplomatique. C'est dans ce but qu'elle utilise les Bulgares qui, de leur côté, ne demandent pas mieux, la duplicité étant le trait saillant de leur caractère national. On a monté ainsi une comédie que la note serbo-grecque s'applique à démasquer à temps.

Ceux d'entre les Alliés qui nourissent l'es poir d’un revirement en Bulgarie oublient deux choses essentielles. D'abord, la politique austrogermanophile de la Bulgarie ne date pas d'hier ; elle est la politique traditionnelle du roi Ferdinand de Cobourg, qu'il a bien pu masquer pendant de longues années, mais qui n'en

constitue pas moins l'œuvre principale à laquelle s ses capacités et toutes

es et morales. Ensuite, gie et la mentalité de

il avait consacré toute ses qualités intellectuell on perd de vue l'idéolo 1 la société et du peuple bulgares. Toutes les tendances bulgares ne convergent que Vers un seul but : secourir l'Autriche-Hongrie et empécher ainsi l'union yougoslave. Les Bulgares

e serbo-grecque

sont comme les Magyars. Ils n'aspirent pas

tant à l'indépendance propre qu'à l'asservissement des autres. Les Magyars avaient réussi dans cette politique si bien qu'ils sont arrivés à ne plus croire à la vitalité d'un Etat purement magyar, composé uniquement de ressortissants de la race d'Arpad. Les Bulgares les suivent fidèlement dans cette mentalité étrange. Toute leur politique est basée sur la nécessité d'empêcher le idéveloppement de la Serbie et la réalisation de l'union nationale des Serbes, Croates et Slovènes. Les Bulgares ne sont pas de moindres ennemis des Yougoslaves que les Allemands ou les Magyars. Vouloir gagner les Bulgares pour les Alliés, c’est donc méconnaitre totalement les aspirations élémentaires de ce peuple touranien. Ce n'est pas seulement matériellement, à cause de la surveillance allemande, qu'une paix avec la Bulgarie sur la base des idées de M. Wilson est impossible. Elle est surtout impossible du point de vue psychologique, les Bulgares ayant acquis la conviction que leur avenir ne peut être assuré que sur la ruine des peuples voisins. Leurs procédés ignobles en Serbie occupée le démontrent jusqu'à l'évidence. Que certains cercles alliés s'obstinent à l'ignorer, c’est un fait qui a motivé la démarche serbo-grecque à Washington, démarche nécessaire et qui ne manquera pas de produire un effet bienfaisant.

| L. M.

Les lésations royales da Serbie et de Grèce à Washington ont présenté au gouvernenrent des Etals-Unis la note collective suivante:

Il ne faut pas perdre de vue, lorsqu'on parle d’une paix possible entre Les Alliés et la Bulgarie, c’est surtout d'une paix entre la Bulgarie d'une part, la (irèce el la Serbie d'autre pari, qu'il s'agit. C’est donc avec elles que la Bulgarie devrail trailer, car ce sont elles qui sont mattres de leur territoire et en disposent. La Bulgarie sait quelle sera la réponse des légations grecques el serbes sur une pareille demande. Elle peut, peut-être, imaginer que les grands alliés de la Grèce et de la Serbie seraient disposés à faire pression sur ces derniers pour les amener à consentir des sacrifices territoriaux afin de contenter les ambitieux bulgares. Les grands alliés, qui onl garanti à la Serbie et à la Grèce leur intégrité lerritoriale et qui ont affirmé que leurs droils et leurs aspiralions légitimes seront brises en considération lors du règlement final, feront comprendre à la Bulgarie que leur engagement n’est pas un vain mot. Le gouvernement bulgare, qui sait cela, ne travaille que dans l'intérêt de l'Allemagne dont il fait le jeu. Elle. essaie d'ouvrir une discussion de paix partielle dans l'espoir qu’elle se généralise.

Par une propagande adroite, elle espère amener les peuples de l'Entente à accepter la paix qu'elle désire, afin d'éviter la catastrophe el essaie d'appliquer la politique qui a fait engorger la Russie, avec celle différence que, sachant que tout ce qui vient d'elle directement est marqué du sceau de la suspicion, l’Allemagne met en avant /a Bulgarie pour tromper les Alliés. Ces intrigues ont déjà élé employées sans succès par un souverain. Le même sort attend ces intrigues nouvelles. Nous espérons que le nouveau service que la Bulgarie essaie de rendre à l'Allemagne ou vrira enfin les yeux aux amis que la première a pu conserver dans les pays alliés. De la victoire diplomatique, elle n’altend que l'accomplissement de ses vœux. La continuation de la défense des ambilieux Bulgares ne serl qu'à jeler le trouble dans l'opinion publique des nations alliées qui versent leur sang pour leur idéal commun.

Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à l'Université de Belgrade

JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

Genève, Samedi31 Août 1918

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ABCNNEMENT } Autres pays. 9fe.— »

La prise de Sarajevo en 1878 !

Le 19. août, la presse austro-hongroiïse,

« Neue l'reie Presse » en tête, célébrait le qua: rantième anniversaire de la prise de Sarajevo.

l'riie. anniversaire pourwla-population,senbe|

de ces deux provinces, mais un glorieux souvenir, à ce QU'il parait, dans l'histoire de l'Autriche: Hongrie. C'est au moins l'opinion d'un général autrichien, le baron Hartlieb, qui en parle dans la (Neue Freie Presse » du 20 août, glorifiant la «vicioire » des armées austro-hongroises remportée sur la population trahie par l'Europe et livrée en esclavaye à l'Empire des Habsbourg. Si l’on pense que cet anniversaire est le dernier que l'Autriche pourra fèler el que l'orgueilleuse Sarajero avec toute la Bosnie- Herzégovine approche de sa délivrance définitive, on sera disposé à pardonner à la presse autrichienne et magyar l'évocation des batailles sanglantes par lesquelles le peuple de Bosnie-Herzégovine eæprimail ses sentiments sur la « Kulturmission » de la Monarthie. Le congrès de la paix, en réparant les injuslices commises dans le passé, rendra à la Bosnie- Herzégovine la liberté pour laquelle elle combat depuis st longtemps.

La question de la Bosnie Herzégovine, tout en êlant étroitement liée au problème général yougoslave, n’en forme pas moins, par rapport à l'Autriche-Ilongrie, une question à part. On perd de vue communément un fait — cependant d’une importance capitale — c'est que, en droti, la Bosnie-Ierségovine ne fait pas partie de l'Empire austro-magyar. L’Autriche- Magyarie

gouverne de fait et non pas de droit ces deux provinces serbes qui s'étaient soulevées en 1875187? pour s'unir à la Serbie et non pas pour

tomber dans l'esclavage autrichien. Le peuple

de Bosnie n'a jamais reconnu l'occupation en* core moins l'annexion. Siles grandes puissances ont consenti, en 1909, sous la menace allemande, à l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, ce consentement donné par contrainte, n'est pas valable. D'autre part l'annexion n’a pas élé ratifiée ni en Autriche ni en Hongrie, par les parlements ce qui rend caduc aussi le consentement des puissances signalaires du traité de Berlin. Ainsi la Bosnie Herzégovine après quarante ans d'exploitation effrénée par l'occupatrice, sera rendue à elle-même et autorisée à s'unir à la Serbie. Le droit des peuples de disposer de leur sort, sibrutalement refusé au peuple de Bosnie-Herzégovine en 1878, lui sera accordé en 1918 ou 19, n'importe, en tout premier lieu. Sa volonté, le peuple de BosnieHerzégovine l'a exprimée aussi clairement que l’'Alsace-Lorraine l'a fait. Les Alliés n'ont qu'à donner la sanction à ce tœu qu'aucune ruse, aucune violence n'a réussi à élouffer. Et quant aux Autrichiens, nous ne serone pas assez méchants pour leur en vouloir de célébrer les glorieux exploits: de leurs armées dans la lutte contre un peuple sans armes. Cette consolation, une fois chassés des pays yougoslaves, les Austro- Magyars doivent la conserver en tous cas !

La politique continentale de l'Allemagne

et le programme balkanique de l'Autriche-Hongrie

Î

Dans « La Serbie » du 3 août, nous avons parlé des plans allemands reïatifs à la future navigation sur le Danube ainsi que de la maimise projetée par l'Allemagne sur les Balkans. Cetltefois nous allons nous ozcuper d'une autre orientation économique des puissances centrales, La « Gazette de Francfort » du 27 juillet, dans une correspvandance de Berlin, parle d'une assembiée des personnalités importantes, du monde industriel et da la haute finance, réunis en vue de la création d’un « Conseil éconcmique ‘allemand pour l’Europe Centale ». Dans son programme ce Conseil comprendrail en premier leu Punion douanière avec !’Autriche-Hongrie. Ce Conseil devrait, selon l’idée de ses. fondateurs, s’'occuper non seutement des rapports économiques de PAutriche-Hongris avec la Por iogne, l'Ukraine et les autres Etats voisins de Pest, mais il aurait encore el surtout à examiner certaines questions particulières offrant un grand intérêt pour linduis{rie allemande. Ainsi l’organisation des Etats nouvellement formés de la Russie de l’ouest et du sud, la reconstruction des régions dévastées nécessiteraïent de nombreuses commandes où. l'industrie allemande devrait participer, Gette participaltäon doit lui être assurée dès à présent par les contrais passés avec les nouvèaux Etats. Geci pour éviter la concurrence des pays de l'Ententeé et des Etats-Unis qui ont la possibilité de se procurer des matières premières à meilleur marché.

Encore plus « vierges ». disent les économistes allemands, sont les rapports des GCentraux avec l'Ukraine, les provinces baltiques e{ la Lithuanie. Dans celte dernière, l'œuvre de la reconstruction est La plus considérable. Mais ces pays sont surtout intéressants à cause de leurs ressources en matières premières. Aussi devrait-on arriver à un accord avec le gouvernement de l'Ukraine afin de mettre les produits de la Russie du sud à la portée de Pindustrie allemande.

Le Conseil économique devrait encore servir d'intermédiaire dans toutes les circonstances possibles pour accaparer des commandes éventuelles dans ces pays el les répartir dans l'industrie. Parmi les tâches qui lui incombent, la première $serait l'élaboration du tarif des chemins de fer de l'Europe centrale, larif qui faciliterait l'exportalion allemande à travers V’Autriche et la Pologne et protégerait le tran-

sit par les Balkans et l'Ukraine contre une«Tarifpolitik » défavorable de l'Autriche! ct de la Poiogne, Du programme du Conseil économique pour l'Europe centrale fait partie également la construcuion des lignes ferroviaires el des réseaux de la navigation fluviale, Cet accroissement de l’'exportation vers l’est ne serai en aucun cas en Gpposilion avec la tâche qui ‘attend l'Allemagne après la guerre à l’ouest: le développemient de son commerce d’outremer, Car l'exportation allemande vers l’est et le sud par rapport à celui de l’ouest était déjà avant ‘la guerre dans la proportion de 32 contre 68 ef cette proportion doit encore se modifier en faveur ‘de l’est en raison des difficultés qui surviendron! par suile de Ja destruction du système actuel du commerce allemand et de la concurrence américaine, Cet accrofsgement dit commerce avec l’est sera, selon, l’op:uinion des cercles allemands compétents, si grande, que grâce à elle l'Allemagne pourrait de nouveau acquérir son ancienne puissance par laquelle elle pourrait enlacer l’univers, Maïs c'est en se basant sur ses rapports économiques futurs avec l’est et le sud-est qu'il faut essayer de rétablir l’ancienne situation économique mondiale: c'est aussi une des conditions essentielles pour le relèvement du change allemand. Mais le moyen pour arriver à

‘ce but ‘est la reconquête pacifique du

monde. Pour la vie rolitico économique de l'Allemagne, il sera indispensable d’élabôrer les plans d’une politique continentale qui ayant comme point de départ la situation créée à l’est doit réunir les Etats d'Europe dans un commun.effart de travail pacifique. Tout ces faits témoignent suffisamment combien les Allemands sont préoccupés en ce moment de leur avenir économique. Is rêvent le rétablissement des anciens rapports économiques, avec, en plus: l'extension de ces rapports à l’est, dans les pays nouvellement conquis, qu'ils considèrent ‘déjà comme leurs colonies. Ils font des projets pour s'emparer des ressources de l’Europe centrale et vorienfale et accaparer à l’exclusion de ‘tous les gutres les commandes indus{rielles que ces pays pourraient faire à l'avenir. El ils espèrent ainsi réunir dans un commun effort les autres nations! On dirait qu'ils ont dévasté les pays et démoli les villes uniquement et expressément pour se créer après la guerre des entreprises lucratives nécessitées par la reconstruction de ces

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