La Serbie

© Lundi 4 Novembre 1918 — No 4!

Corfou, le 3 septembre 1918: Monsieur Seton Watson, Londres, Cher Mossieur.

Je viens de lire votre article Serbia's choice qui a paru dans la New Europe du 929 août dernier. Votre amitié, votre sympathie et votre travail pour notre cause nationale et à un Certain point, mon passé politique me donnent, je crois, le droit de vous écrire CES quelques mots. Vous avez été, mon cher ami, pas mal mystifié dans cette occurrence.

Le changement du voivode Putnik a été la conséquence nécessaire de son incapacité physique de travailler. D'après ma conviction, ce changement aurait dû avoir été fait beaucoup plus tôt et alors ce spectale inusité ét unique n'aurait pas eu lieu, que l’armée porte sur ses épaules son commandant au lieu que celui-ci la mène. Plus d'un an s'était déjà écoulé depuis que le voivode Putnik était devenu incapable de visiter même une seule fois le front. Il n'était pas rare qu’une semaine entière se passät jusqu'à ce qu'il apportât des décisions urgentes. Pour le changement de son état major, vous trouverez une raison suffisante dans votre article même. Le groupe l'Union ou la mort, avait obtenu une influence notable dans l'entourage du voivode. Nous, vieux radicaux, ou, comme vous le dites, les forces conservatrices du pays, avons toujours lutté contre la prépondérance des autorités militaires dans l'Etat, nous avons voulu et voulons que l'autorité civile soit supérieure et qu’elle soit le seul représentant de la volonté de l'Etat et du peuple. La main noire ou le groupe d’'officiers l'Union ou la mort était une société secrèle qui s’occupait de politique et qui voulait avoir une influence prépondérante dans l'Etat, pour élle-même. Le voivode Putnik lui-même a succombé à cette influence et sa grande autorité a servi d'abri aux membres de cette société secrète. Le colonel Dimitriévitch a été le chef de la main noire. C’est lui qui protégeait et cachait Malobabitch; quant au passé.de Malobabitch, vous pourriez demander des informations aussi à Hinkovitch. D'après ma profonde conviction, il a été un espion autrichien. En tous cas, le fait est notoire qu'il a été agent électoral du gouvernement, lors des élections en Croatie.

Aucun des officiers accusés n'a formulé une plainte quelconque contre le tribunal ou les juges.

Pendant toute la durée de la crise, son Altesse Royale le Prince Héritier à con-

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féponse de Stoyan Protitch à la «New Europe»

servé la seule attitude digne d’un souverain moderne et constitutionnel.

L'opposition n'a pas eu et n’a, ni aujourd'hui, une attitude nette envers les officiers qui faisaient de la politique et qui avaient fondé la main noire. Dans la lutte contre le gouvernement et le parti radical, l'opposition faisait cause commune avec ja main noire; c'est pour cette raison que l'opposition provoqua la crise de juillet 1917, malgré l'existence d’un document écrit spécial qui de lui-même excluait absolument la grâce de Dimitriévitch. Ceci est encore aujourd'hui un des principaux obstacles pour la concentration des-forces” politiques.

L'opposition se trouve en outre dans cette contradiction : elle veut la concentration et la coalition, mais en même temps elle en exclut Pachitch, moi, Lj. Yovanovitch et Andra Nikoloitch, lequel elle a obligé d’une facon démonstrative de quitter la présidence de la Skoupchtina nationale. Pachitch est, il est vrai, d'un âge avancé, mais par son esprit et ses vues, il est bien plus jeune que beaucoup de ces messieurs de l'opposition. Il est notre capital national, qu'aucun homme sage et aucun groupe sage ne voudrait rejeter. À notre grand regret, notre opposition le fait. Dans la jeunesse de Pachitch, il n'y à aucune tradition demi-turque; au contraire, dans cette jeunesse il y a des traditions révolutionnaires et occidentales, de même que chez nous autres, les forces conservatrices. Dans la Serbie de Kara-Georges, il n’y a jamais eu de place, ni pour des traditions demi-turques ni pour des traditions demiautrichiennes. L'histoire des rois de Serbie même, en est la preuve et voilà pourquoi la Serbie a été et est encore le portedrapeau de la libération et de l'unification nationale. Elle est la personification du grand principe révolutionnaire, si vous voulez. Vous-même, vous avez dû redouter il y a quelques années, que l'unification et la libération de notre nation ne pourraient être réalisées sans la destruction de la Turquie qui n’est en Europe qu'un camp militaire, sur les territoires étrangers, sans la destruction de l'Autriche, qui n’est qu'une administration et non un Etat, comme l'a dit Mazzini. Ce qu'il y a plus lieu de redouter, à mon avis, c'est que l’on ne rencontre là plus près de vous, mon cher ami, des traditions demi-turques ou demiautrichiennes, qui entravent la réalisation de la libération et de l'unification de notre nation sur la base de la Déclaration de Corfou que la Serbie ne voudrait que consolider et élargir et nullement rétrécir ou

affaiblir. La Serbie parlementaire et démocratique, c’est la meilleure garantie que le Fiémont plonge dans l'Italie, si toutefois l'Italie est parlementaire et démocratique, En Allemagne le plus grand particulariste, c’est la Prusseet chez nous ce sont ceux qui choisissent la Prusse pour modèle, et ceux qui montrent des velléités de modeler dans notre royaume unifié des relations nouvelles sur celles qui existent entre la Hongrie et la Croatie.

La Serbie ne pourra être contrainte à se contenter d’une base étroite serbe que par la force majeure. Elle lutte pourtant contre cette force par tous ses moyens encore aujourd'hui, comme elle l'avait fait hier et avant hier, et comme elle le fera demain et.après demain. :

Ën me tenant à votre disposition pour châque autre information que vous pourrez toujours contrôler, ainsi que pour chaque discussion même contradictoire, je vous prie, cher ami, de bien vouloir retenir ceci: la Serbie a aussi ses difficultés, de même que tous les autres, dans cette grande et terrible guerre ; dans sa situation politique si exceptionnelle et si délicate, il serait plutôt étonnant qu'elle n’en eût pas de plus fortes et de plus graves. Serait-ce trop demander à ses amis éprouvés, comme vous en êtes un, de ne pas aggraver ces difficultés par de telles critiques mal fondées. Je vous laisse à vous et à nos autres bons amis anglais le soin de donner une réponse équitable à cette question.

Je vous”envoie par la poste le communiqué du gouvernement du 26 juin-9 juillet dernier concernant la dernière crise.

Il va sans dire que je vous autorise à faire de cette lettre l'usage que vous jugerez utile avec toute ma signature.

Votre dévoué Stoyan PROTITCH.

| M. Pachitch à Londres

Au déjeuner éffert à M. Pachilch le 14 actobre, à Mansion House, par le lordmaire de Léndres, le ministre-président de Serbie a prononcé un discours politique (où il a dil entre autres ceci:

« La Serbie, en défendant san indépendance et en luttant pour la délivrance de ses frères, a mis lout en jeu. La Serbie est pleine ‘de reconnaissance envers la Grande-Bretagne et les autres alliés qui l'ont aidée contre les brutalités du mili{arisme prussien, Elle n’oubliera jamais les secours envoyés par ses nobles alliés, qui ont versé leur sang pour le bien commun de l'humanité. La Serbie espère que ses alliés l’aideront dans l’œuvre de reconstruction de son pays ravagé et dans l’unification de tous les Serbes, Croates et Skovènes, conformément aux principes établis par la déclaration de Corfou. » (1)°

(1) Il convient de constater que le texte de ce passage du discours dé M. Pachitchf a été inexactement reproduit par la presse suisse.

Lord Reading, le premier lord de la Justice, dans un discours très applaudi, a insisté sur le rôle glorieux de la Serbie dans la guerre actuelle, La Serbie, un petit peuple entouré de grands empires qui convoitaient son territoire, jaloux du pouvoir qu'elle exerçait -- a souffert plus qu'aucun autre peuple, et certainement pas moins que tout autre peuple n’a souffert, Mais la Serbie a donné un exemple magnifique de ce qu'un peuple est capable de réaliser lorsque son âme est'animée des sentiments du Droit €t de la Justice. Nous étions tous conscients du martyre que la Serbie a souffert, et nous n'oublions pas l’admirable élévation de som esprit et la façon magnifique dont elle s'est arrangée pour supporter des terribles épreuves et les souffrances cruelles que le destin lui a assignées. Naus nous réjouissons avec celle du changement survenu et surtout de la grande part jouée

.par l’armée serbe. »

En terminant Lord Reading a fait encore céttée constatation importante: « Qu'il me soit permis de dire en ma qualité de èhef suprême de la justice de Ce pays, qui sait à quoi on s'attend ici, que la justice est miséricordieuse lorsqu'il existe des Circenstances atlénuantes, mais lorsqu'il n'y a pas detelles circonstances, il convient à la justice d'être sévère.» ol

Une manifestation des groupements nationaux de l'Europe centrale

Les représentants des organisations nationales de l’Europe centrale résidant en Suisse 5e sont réunis à Genève le 29 wctobre, sous la présidence de l'éminent écrivain et homme litique américain, le professeur G.-D. Herron. |

L'assistance se composait d'Italiens (d'Autriche et du royaume), de Polonais, de Roumains (de Hongrie et du royaume), de Tchéco-Slovaques et de Yougoslaves,

Les délégués suivants ont pris la parole: le Dr Vercesi, au nom des Italiens; le Dr C.-M. Morawski, au nom des Polonais; L. Aurel Popovici, au nom des Roumains; l'ingénieur P. Baratchich-Jacquier, au nom des Tchéco-Slovaques; le Dr Ivan Gmajner, au nom des Yougoslaves.

Tous les orateurs ont affirmé, au nom des organisations qu'ils représentent, leur volonté de repousser toute tentative d’assujettissement où de fédéralisme. dans le cadre de la monarchie des Habsbourg. Ils ont, en outre, déclaré catégoriquement que le but poursuivi par leurs peuples est la réalisation de leur complète fndépendance et de leur unité nationale.

L'assemblée à adopté à l'unanimité une déclaration dans ce sens,

Les étudiants yougoslaves à M. Heamarz

La jeunesse universitaire yougoslave de Genève a adressé à M. le Dr Kramarz ke télégramme suivant:

« Vila», Société des étudiants erbescroates-slovènes, à Genève, fidèle aux yrincipes émis par La déclaration de Corfau et aux idées de la solidarité slave, salue avec enthousiasme votre arrivée dans notre ville et la considère comme signe de la prochaine libération du peupie-frère tchéco-slovaque. Vice-président: George Théodorovitch, de Zagreb.

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qu'il fut forcé de reconnaître la souveraineté turque, il fit tous! Ses efforts pour maintenir les traditions nationales «et chrétiennes des anciens souverains serbes. Il fit bâtir des églises et des monaslères, leur faisait de précieux dons, secourait les pauvres, protégcait les faibles et son peuple contre les violences des Turcs et lui apprenait la morale et La justice Bien qu'il fut pattois, en vassal turc, obligé dé combattre aux côtés des Turcs, contrée les souverains chrétiens, 11 ne l'a fait qu'à :contre-cœur,

car il me pouvait faire autrement. «{Que Dieu veuille que les:

chrétiens boienl vainqueurs, même si ma vie devait être le prix da leur victoires, disait le roi Marko à la veille de la bataille: contre le vovoïde Mirtcha, dans laquelle il trouva la mort. Et Iles chréliens furent en effet vainqueurs. Ces paroles du roi Marko' furent fidèlement inserites dans les Chroniques d'un contemporain. {

Le palriotiime de Kralyévitch Marko, ses œuvres pour le cbristianisme, son amour pour le peuple serbe, son caractère droit et sa vie pleine de morale, ainsi que ses dénières paroles, l'ont rendu très populaire aéià parmi ses contemporains et ls générations qui l'ont immédiatement suivi. Plus tard, pendant le siècle du noir esclavage sous le Turc et pendant d'autres fpoques sombres, le peuple serba invoquait toujours la méMcire du roi Marko, lô chantait et le glorifiait. «11 n'est pasde more du roi Marko, lé chantait et le gloniliait. «Il n'est pas de Serbe qui me connaisse le mom du roi “Marko», avait dit Vouk Karadjitc (1787-1864), poète de la nouvelle littérature serbe.

Ü existe un nombre énorme de poèmes et de contes consaérés à Kralyévitch Marko. Le peuple serbe a lié à son nom l'époque la plus glorieuse de son passé, ainsi que sa Lutte coniire les: Turcs. Enfin: le peuple serbe lin À son nom tous ses espoirs do délivrance, d'unité, de liberté et d'un meilleur avenir.

Selon Jes traditions nationales, Kralyévitch Marko n'est pas Mort. Il s'était retiré, avec son cheval Charaïs, dans une groile

de Démir-Kapou. LA, il avait mis par terre un peu de mousse, et avec son épée, il avait fait une brèche ‘dans la roche dns laquelle il l'avait déposé. Puis fl se coucha et :s’endormit. Son cheval se nourrit d'un peu de mousse et son épée sort lentdment de la brèche. Quand le cheval aura mangé |loute la moussti et quand le sabre sera sorti, le roi Marko se réveillera, sortira de sa groite pour délivrer et unir Le peuple serbe. te

Tout enfant serbe conmaît ce mythé du réveil du roi Marko. Lorsque, en 1912, les soldats serbes, comme s'ils marchaient sur des ailes, délivrèrent la Macédoine, ils racontèrent avoir vu dans leur imagination et dans leur enthousiasme, le roi Marko, sur Son cheval Charats, courir devant eux et les conduire à la victoire.

On voi! combien lé roi Marko était étroitement attaché à la ville de Prilep, au bel avenir du peuple serbe, pour lequel il avait rêvé durant des siècles et pour lequel il avait consenif des gacrilicés eomime aueun autre peuple.

RR RAR T. R. GEORGEVITCH.

Les pays de la nation serbe, par À. Sranoyéviren, inspecteur d'Académie. (Nice, 1918. Edilion de l’auteur).

L'opuseule de M. Stanoyévitch, Malgré sa forme modeste, est une étude très instructive et très intéressante, Dans le désir d'offrir au public allié un ouvrage concis sur les pays «et le peuple serbo-croates-slovènes, l'auteur a su distinguer le principal du détail, le général du particulier, el c'est pourquoi on peut considérer son essai comme très bien réussi, M. Slanoyéviteh est connu par sa façon particulière de causer Sur les sujets Jes plus arides, ice qui rend la lecture de son livre très facile et très agréable, L’exposé des conditions géographiques et bydrégraphiques, de la constitution géologique, de ja flore et de a faune, n’est pas limité à la simple desicription du terrain, mais il est aCCompagné de remarques

idomplémentaires sur le caractère général du pays, Aussi Hans la seconde partie, consacrée à La population, à côté des notions d'ordre ethnique très bien coordonnées, on trouve d'autres informations historiques et politiques non miüins utiles à Savoir. {

Le livre de M. Stancyévitch est à recommander, parliculièrement à ceux qui n'ont que des connaissances imparfaites de nas pays, [ls y trouveront des indications sûres et faciles à comprendre et à retenir.

R.-J. ODAVITCH : Essai de bibliographie française sur les Serbes, Groates et Slovènes, depuis le commencement de la guerre actuelle. (Paris, 1918. Edition de l’auteur, 72, rue Denfer-Rochereau),.

{ M. Odavitch a rendu un service inappréciable à l'histoire politique et culturelle de la délivrance et de l'union politique des Serbes. Croabes et Slovènes, en publiant ce livre au titre modeste d'Essai de bibliographie, Ce n’est pas un essai, mais une véritable bibliographie, incomplète, il est vrai, mais remarquable par le nombre! imposant des œuvrages mentionnés et des articles de journaux et de revues cités, IL serait à désirer cependant qu'une: bibliographie complète, s'étendant sur les ouvrages ef les articles en toutes langues soit élaborée, De finêma qu'en français il existe une jolie littérature en anglais, M. P. Popovitch avait pendant un certain temps publié des nétices bibliographiques dans son bulletin de presse à Londres, mais il y a longtemps qu'il a cessé ce travail utile. (

Quant à la bibliographie de M. Odavitch, nous regrettons que notre journal y est à peine mentionné, quoiqu'il contienne un matériel important pour l'étude de notre lutte naticnale.

Société Genevoise d'Editions et d'Iimpressions, — Genève

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