La Serbie

Lundi 25 Novembre 1918 — Ne 44

LA SERBIE

Rau et le chef de section Kerntler. A une certaine distance du général français se tenait son chef d'état-major et un colonel serbe ded'état major de la première armée.

Le général Franchet d’Espérey a prononcé alors le discours suivant :

« Thôkôly, Rakoczi, Kossuth, sont les noms que tout Français prononce avec respect. La France n'a jamais refusé à Ja Hongrie, que ces noms caractérisent, sa sympathie jusqu'en 1877, date à laquelle la Hongrie, qui avait lutté d'abord pour se délivrer du joug allemand, se laissa gagner par l'Allemagne et devint complice de la rapacité allemande. Une telle Hongrie, les peuples de l’Entente la considèrent comme une ennemie. Elle aura à partager le sort de l'Allemagne. Vous avez marché avec les Allemands, vous serez châtiés comme eux. La Hongrie aura à expier et à payer ses crimes et l'invasion ne frappera pas seulement les riches qui pourront se dérober par l’émigration, mais aussi les pauvres.

Vous parlez au nom du peuple hongrois, mais en réalité vous ne représentez que le peuple magyar. Je connais votre histoire, vous avez opprimé les peuples non magyars dans votre pays et maintenant vous avez comme ennemis les Tchèques,les Slovaques, les Roumains et les Slaves du Sud. Tous ces peuples sont avec moi; je n'ai qu'un sigue à faire et vous êtes détruits: Est-ce que vous croyez que la France puisse oublier de quelle façon infâme vos journaux ont parlé de nous. (Oscar Jaszi s'écrie : Pas tous, seulement les organes nationalistes). Le général Franchet très impatient: Assez, assez, je le sais.

Vous arrivez trop tard. Il y a deux semaines, votre déclaration de neutralité vous aurait servi à quelque chose, mais plus aujourd’hui que je me trouve à Belgrade. Je veux négocier avec vous uniquement parce que le comte Michel Karolyi se trouve à la tête de votre délégation. Nous l'avons connu pendant la guerre comme un homme droit. Dans la situation actuelle de la Hongrie, seul cet homme est capable d’adoucir le sort du pays. Ralliez-vous à lui ». |

Et il a remis alors aux délégués magyars les conditions d’armistice que nous publions ailleurs.

La délégation hongroise, avant de signer les conditions de l’armistice imposées par le général en chef de l'armée alliée, a demandé l'autorisation d'envoyer à M. Clemenceau un télégramme demandant les garanties pour l'intégrité territoriale de la Hongrie jusqu’à la conférence de la paix. Le général Franchet d’'Espérey s'était opposé tout d'abord à l'envoi de ce télégramme, mais devant l’insistance de la délégation hongroise, il a cédé et il l’a expédié quand même, D'autre part, le général Franchet d'Espérey a consenti, et à tort, pensons-nous, à ce que l'administration magyare soit maintenue dans toute la zone évacuée par l'armée magyare. Cette concession d’ailleurs purement chimérique, puis-

que la population ne tardera pas à destituer elle-même les organes magyars, doit servir aux Magyars d'appui dans leurs projets de demander à la conférence de la paix la conservation de la Hongrie milénaire et historique, dans ses limites d'avant la guerre. “

Au télégramme des délégués magyars, M. Clemenceau à répondu par un télégramme disant que le Conseil interalié de Versailles s’opposait à l'introduction de toute clause politique dané le Lraité d'armistice et que l’arrangement devait porter uniquement sur les questions d'ordre militaire. Le comte Karolyi a interprété ce télégramme de M.-Clemenceau comme un refus et, il en a reféré au Conseil national hongrois à Budapest en demandant l'autorisation de signer l'armistice même sans cette garantie. Le gouvernement et le Conseil national, de Hongrie ont accepté l’armistice qui a été signé à Belgrade par le voivode serbe Michitch au nom du commandant en chef des armées alliées, el M. Linder, ministre de la guerre hongroise.

C’est une belle satisfaction pour la Serbie et son peuple héroïque.

Conditions de l'armistice avec la Hongris

Art. IL — L'Etat hongrois retire toutes ses troupes au nord de la ligne qui’ com: mence du cours supérieur du grand Szamos, en suivant Bessterce, Marosvasarhely, la fleuve Maros jusqu'à son embouchure dans le Theiss, Subotica, Baja, Pécuj (dans toutes ces localités les troupes magvares ne peuvent plus rester), le cours de la Drava, jusqu'à la frontière croato-slvène. L'évacuation doit s'effectuer en huit jours.

Les Alliés vont occuper les terriloires évacués dans des conditions que le commandant des armées alliées prescrira. L’administration civile reste ientre Îles mains du gouvernement actuel.

Art. IL —— La démobilisation de larmée hongroise sur terne et sur mer, exception faite de six divisions d'infanterie et de deux divisions de cavalerie, qui seront nécessaires pour maintenir l'ordre, ainsi que des troupes qui ont un icaractère de

Art. III. — Les Alliés ont le droit d’occuper tous points, tous endroits stratégiques importants. Le commandant des troupes alliées décidera seul de cette accupation. Art. IV. — Les troupes alliées ont le droit de passer par tous îles territoires hongrois et de ts'arrêter là où ils voudront. Ils ont le droit de se servir pour les besoins militaires de tous les moyens de transports, de tout le matériel pour les chemins de fer et pour les bateaux, sans distinguer si ce matériel appartient à VEtat hongrois où à des particuliers,

La même disposition s'applique à tout le bétail de charge. Le matériel de chiemins de fer et tout le personnel restent à leur place pour les besoins du bays bccupé. En outre une réserve de deux mille wagons æt de cent locomotives à voie n'ormale, ainsi que de six cents iwagons et de cinquante locomotives À voie étroite Sera mise à la disposition du commandant en chef allié, d'un côté pour les jbespins des armées alliées et de l’autre pour com-

penser les pertes serbes en matériel de chemins de fer, Une partie de ce matériel peut également être requise de l’AutricheHongrie. Art, V. — Le personnel et le matériel des bateaux qui dans les circonstances

normales assurent iles communications dans

les territoiresioccupés resteront à leur place.

Quant à la floltille danubienne, six mont

tors seront livrés immédiatement aux ALES à Belgrade. Le reste de la flottille danubienne Sera rassemblé, pour être démo bilisée et désarmée, : dans un port du Danube qui sera indiqué plus tard. De la flotte commerciale, ‘on doit remettre dans le plus bref. délai. aux iAlliés : dix bateaux passagers, dix remborqueurs et soixante chalandis, en partie pour Les bults militaires alliés, en partie pour servir de dédommagement pour les pertes causées À la navigation serbe.

Art. VI. — Dans un délai (de quinze jours, une équipe d'ouvriers de chemins de fer de trois mille hommes doit être mise à la disposition du commandement suprême allié, pourvue de tous les moyens et du matériel. nécessaire pour procéder à la réparation des lignes de chemins de fer serbes.

Art. VII — Dans le délai de quinze jours, un nombre correspondant de troupes techniques pourvu de tout le matériel Inécessaire sera: mis à la disposition du commañdement suprême allié pour être employé à la reconstruction et à la réparation des lignes téléphoniques et télégraphiques en Serbie.

Art. VIIL — Dans le délai d’un moi, on devra mettre à la disposition du commandement suprême allié vingt-cinq mille chevaux, avec tout le matériel nécessaire pour la circulation.

Art. IX. — Les armes et le matériel de guerre seront concentrés dans un endroit qui sera désigné par le commandant en chef des Alliés. Une partie de ce matériel sera prise pour l’organisation des unités se trouvant sous les ordres di commandant en chef. allié,

Art. X. — Les prisonniers de guerre et des internés civils doivent être remis en liberté immédiatement. Ils seront rassembiés dans des localités déterminées pour être dirigés danis leur patrie. Les prisonniers hongrois ne seront pas pour le moment remis en fliberté.

Art. XI. — ‘Aux troupes allemandes, on accorde un délai de huit jours pour le passage et le stationnement en Hongrie. Les communications postales et télégrat-

phiques pour l'Allemagne seront perm'ses

uniquement sous le contrôle des Alliés. Le gouvernement hongrois s’engage à n’envoyer en Allemagne aucune communication télégraphique de nature militaire.

Art. XII. — La Hongrie s'engage À faciliter de ravitaillement des troupes alliées. Les réquisitions sont permises à condition awelles ne (soient pas arbitraïres, mais av’eïles soient payées d’après les prix courants,. Art. XIIL — Les champs de mines dans le Danube ét la mier Noïre seront immédiatement désignés au commandant en. chef des troupes alliées.

Art. XIV. — La poste, la télégraphie sans fil, les lignes télégraphiques let téléphoniaues sont placées sous le contrôle des Alliés.

Art. XV. — Un représentant des ‘Alliés sera adjoint au ministre hongrois du ravitaillement pour protéger les intérêts alliés.

Art, XVI: — La Hongrie est obligée de rompre toutes les relations avec VAI. lemagne.

Art. XVIL -- Les Alliés ne veulent pas se méêler aux affaires üintérieures de la Hongrie.

La délégation hongroise à Belgrade

Les délégués hongrois se sont rendus à Bel grade sur le bateau « Millenium », de la Société hongroise de navigation. Le bateau qui avait hissé un grand drapeau. blanc est arrivé à Bel. grade le 6 novembre à 3 heures de l'après-midi Sur le débarcadère se trouvait une grande foule qui attendait avec curiosité el avec un calme absolu, l'arrivée des Magyars. Les premiers qu descendirent furent deux parlementaires, Vans un canot portant également un drapeau blanc. C'étaient le capitaine Cserniak et le lieutenant Abt. Les deux parlementaires se rendirent aussitôt au commandement militaire de Belgrade, où le commandant de la division serbe du Danube, leur . communiqua que Les « Messieurs hongrois » pouvaient, suivant leur ‘désir, passer la nuit sur la bord du bateau ou débarquer à Belgrade et descendre à l'Hôtel de la Couronne où ils seraient les hôtes du gouvernement serbe. Le ministre président Karolyi se décida pour la dernière 5olution, La population sur la rive, restait tranquille: Les soldats serbes avaient placé un cordon, et. un. lieutenant serbe qui parlait le magyar a conduit la délégation à l'hôtel. Peu après arriva un colonel serbe pour dire au comte Karolyë que le général Franchet d'Espérey serait à Belgrade le 7 novembre à six heures du soir.

Voici comment le correspondant du + Pester Lloyd» a décrit la première entrevue avec fe général Franchet : j

Le général de l'armée . d'Orient, : Francael d'Espérey est arrivé à cinq heures de l'aprèsmidi pour recevoir la délégation du comte Carolyi à Pelgrade. On l'avait attendu d’abord pour 6 heures, car nous n'avions pas fixé mos heures selon celles de l'Europe Centrale. L'adjudan du général, le lieutenant Dutilly, accompagné du colonel Milkovitch, commandant de la ire division serbe, se rendit aussitôt auprès du comte Carolyi et convint avec lui des détails de ln réception. un à

Nous allâmes alors. chez le général qui . est cescendu dans la villa d'un professeur de gymnase, rue du Théâtre, No 5. C'est une petite habitation: de bon goût, dans le style colonial, avec une vérandah et un petit escalier extérieur. C'est là qu'habitait, il y a quelques semaines, le général

-Babitch, commandant de place de la ville de

Belgrade. à : :

Le salon dans lequel le général reçut les : membres de la délégation Carolyi, MM. Jaszi, Hatvany, Bokany, et le capitaine Csernyak et les experts le capitaine Stielly, le conseiller de la Cour Giottlob Rau et le conseiller de sectipnl Kerntler, est orné simplement dans le style empire. Au plafond est suspendu ‘un lustre vénitien, mais la lumière électrique ne l'éclaire .pas, les Allemands ayant détruit les conduites. La chambre est éclairée par. deux lampes à pétrole seulament, qui se trouvent sur une cheminée devant un, grand miroir au cadre doré. Ce qui se passa dans La chambre, Je l'entendis et je le vis 66 dérouler de la vérandah à travers deux fenêtres et une porte vitrée du salon. La vérandah est faiblement éclairée. Elle n'est pas un trop mauvais poste d'observation pour voir ce qui Fe passe dans le salon, surtout lorsque les figures se trouvent dans un rayon de lumière. Ce que Je raconte fut entendu et vu, complété par url langage convenu entre tous les participants, excepté pour ce qui concerne le général français.

Le général entra: une stature moyenne avec un peu d'embonpoint, mais d'autre part d'une

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= FEUILLETON

DOMMAGES ET PERTES DE LA SERBIE

Nous avons publié précédemment un article remarquable de M. K. Stoyanovitch sur les potes matérielles serbes. Pour compléter ce tableau, nous croyons utile de reproduire une autre estimation provenant d'un Comité chargé d'examiner la situation économique de la Serbie et dont le président est M. M. Radovanovitch, professeur d'Economie politique à l'Université de Belgrade, Le rapport de ce Comité vient d'être publié en français, à Genève, chez Reggiani, imprimeur.

La Serbie a disposé d'une richesse que nous avons cru pouvoir fvaluer à 11 milliards de francs environ. Tous les éléments de richesse dont nous avons parlé ont subi des tlommagtes. Beaucoup sont complètement anéantis. Une grande partie dés biens meubles ont été emportés par l'ennemi, qui est allé jusqu'à Hémolir, pour les voler, des monuments funéraires. Ses propres journaux ne nous ont pas caché les horreurs qu'il # commises, et nos renseignements ‘privés ont achevé de nous édifier sur la façon dont il s'est comporté dans notre pays. Le but lévidenf de notre ennemi était de ruiner complètement la race serbe et la Serbie tout entière au point de vue économique, ft imalheureusement il a réussi en grande partie à détruire toutes mos

pcquisitions séculaires et à faire disparaître plus du tiers de

notre population. à

C'est seulement au jour où es Serbes rentreront dans leur phikie qu'ils pourront évaluer en détail tous les dommages qu'elle aura subi du fait de cette guerre, mais nous pouvons! Établir dès maintenant, à défaut de la valeur exacte de ses biens endommagés, tout au moins leur quantité.

Nous nous sommes efforcés d'exposer ici (dans les grandes lignes les dommages soufferts par la Serbie. Quant à leur éva-

luation, nous avons dû mous arrêter À des prix qui mous: semblent devoir être maintenus après la guerre, et mous me prétendons lui donner qu'un caractère d'information. Nous pensons toutefois, dans cette estimation des (valeurs enjdommagées, h'avoir faussé le résultat final ni en l'exagérant ni en le sousévaluant. On pourra, ylans le Hétail des différentes catédories de biens, trouver mos chiffres ici trop forts, là trop. faibles! Ils ne pourront, comme nous l'avons dit, être définitivement contrôlés que dors de la libération du pays, qui permettra de les établir sur la base jdes prix qui seront en Wigueur Nous ne pensons pas mous tromper en affirmant que les (chiffres adoptés par nous subiront alors une majoration.

:Nous adopterons, dans l'exposé des ‘dommages, le même ordre qua dans l'évaluation des richesses, afin de rendre facile da comparaison entre la \iortune publique et les pertes qu'elle a subies. fa | PROPRIÉTÉ IMMOBILIÈRE

1. Terrains

Le sol est resté plus que tout autre élément de la richesse nationale, relativement inchangé, bien que dans certaines régions où des batailles ont eu lieu, il ait été ‘endommagé par de, pastge des armées, bouleversé par les obus, etc.; le dommage le plus grave a été causé par lo revenu que l'ennemi a prélevé sur les produits du 60l pendant son o£eupation. Nous en ‘repart lerons plus loin, au sujet des provisions alimentaires et du fourrage Mais lorsqu'on parle du 6ol, il faut cependant évaluer les iommages causés par l'ennemi aux vergers et aux vignes. Tandis que ces dernières ont é6t6 soit ravagées soit ruinées par Je manque de culture, les arbres fruitiers ont été coupés jusqu'à [a racine et complètement anéantis. {

D'après notre évaluation, les dommages causés dans les vignbles coupés e{ ravagés représentent une valeur d'au moins 35 @illions de francs, les arbres fruitiers (et surtout les pruniekf) eméantis, 30.000.000; les bois coupés jusqu'à la racine, le matériel brûlé où emporté représentent encore ung valeur de 25.000.000; euiin les dommages causés aux furêts sous forme de bois coupé et einporté pendant deux années d'occupation, le revenu tés pâturages, des chasses, des pêcheries et des mines représonté une valeur de 185.000.000 de francs, - A

L'ensemble des dommages causés aux terrains atteint don 275.000.000 de francs,

2. Bâtiments

La plupart des villes, bourgs et villages limitrophes de l'Autriche-Hohgrie, c'est-à-dire situés Le long de la Drina, de la Sava et du Danube, ont été démolis par les obus ennemis. De leur côté les Bulgares ont démoli de nombreux villages ct causé de grands dommages à certaines localités — entre autreb à Monastir - À Belgrade, non seulement les maisons ont été démolies, mafñs les «chaussées sont également bouleversées, Les tuyaux de l'aqueduc et les câbles électriques et hydrauliques ee les machines emportées; une grande partis da la canalisation est an j TT. ile tft i it at | éantie. La ville (offre un spectacla qui fait a ni spécialdment visés par l'artillerie ennë Û , LI es s D? . : priétés privées. fre tee ROUE pis gente At ES

os Compte approximatif mous conduit aux résultats Pui-

a. Dans la (propriété privée, environ (5.000.000 de franti compte ne comprend, que les maisons d'habitation pr oprement :