La Serbie

[ms Année.

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_— No 49

RÉDACTION et ADMINISTRATION di, rue du AXXI Décembre - Genève Tétéphone 14

M. Wilson

Prix duNuméro !

ET

10 Centimes

JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

Paraissant tous les Lundis ;

D PS D EG & ss

et la paix

‘L'an 1918 fut l'an de la victoire ; la nouvelle année, celle qui commence. sera l'an de la paix. Le danger d'asservissement et de domination qui menaçait l'Europe et le mode entier, a été écarté au prix des millions de vies humaines ; son retour nouveau serait la fin de

; l'Humanité. Cet avertissement est contenu dans _ Ja déclaration faite par le président Wilson * dans uné interview qu'il a accordée, contraire-

ment à toutes les traditions américaines, au correspondant particulier du « Times » à Paris. « Lorsque je demandai au Président quelle est la grande tâche de la Conférence et le grand but vers lequel tous les délégués devraient tendre leurs efforts, il me répondit: Je crois que n'importe qui pourrait vous répondre aussi bien que moi. Les yeux de tout le monde, dans tous les pays, aujourd’hui sont tournés vers Versailles, et je suis sûr qu'on se pose la question suivante : Est-ce qu'il y aura chez les hommes d'État qui y sont rassemblés assez d'intelligence et de bonne volonté pour créer une garantie contre les guerres fulures ? » (Le « Times » du 21 décembre).

En effet, l'œuvre de réorganisation et de reconstruction du monde ne sera pas durable, si elle n'est pas inspirée du désir sincère de créer un régime international plus solide et plus équitable que celui qui existait avant la guerre.

Mais au lieu de se perdre dans des discussions vagues et doctrinaires, au sujet de la Société des Nations, il serait plus sage de s'entendre sur quelques principes fondamentaux dont la mise en œuvre signifie pratiquement la fin des guerres. C'est, croyons-noùs aussi,” Ja pensée du président Wilson, que l’on veut considérer, à tort, comme un théoricien ne possédant pas le sens des réalités politiques. Quoi de plus faux en effet que de se représenter le président Wilson comme un professeur, descendu dans la mélée, en sa qualité de savant et se proposant de reconstruire le monde d'après une formule de philosophie spéculative. La nation américaine qui a été capable de cet immense effort, qui a contribué d'une façon décisive à l'écroulement du germanisme, cette nation incarne les principes sains et bien réfléchis. Elle est guidée par un idéal que la vieille Europe, imbue des idées conservatrices, ne comprend pas toujours, mais qu'elle ne saurait etne poursait pas rejeter, Le président de la Grande République Américaine, loin de vouloir jouer le rôle d'un alchimiste social, est au contraire un homme politique par excellence, un esprit plein de sens pour le vrai et le réalisable, Ce qui importe donc, pour que la semence américaine portât ses fruits sur le sol européen, c'est que le semeur Wilson examine bien le terrain qu'il veut cultiver. Tout le problème de sa collaboration est là.

Les Alliés qui ont la primeur dans la lutte pour le Droit et la Justice, ne peuvent que sourire aux intrigues des ennemis cherchant à opposer la paix Wilson à la paix alliée. La

_ paixalliée, c’est la paix Wilson, et inversement. ÎL peut y avoir des divergences dans les questions particulières qui intéressent directement les peuples européens, mais cela ne va influer en aucune façon sur le caractère général de la paix future. L'Amérique tiendra compte de la situation européenne, qui exige une adaptation adéquate des formules, dans l'intérêt même de la.paix. M. Wilson l'a lui-même reconnu dans sa conversation avec le correspondant du « Times», Si, par exemple, avant la guerre actuelle, le principe de l'arbitrage obligatoire, avait été juge suffisant pour garantir le monde contre les guerres, aujourd'hui, après la proclamation de la théorie des « chiffons de papier », ce principe, à lui seul, ne suffit plus. Les Alliés devront s'occuper des possibilités effectives de certaines puissances de faire la guerre, et ils sont en droit de prendre des mesures en cor respondances. Autrement parlant, la liquidation

e la guerre actuelle doit précéder l'institution d'un système international nouveau, comportant

es garanties générales contre les agressions arbitraires. Ces deux phases dans | organisation de la paix dépendent l'une de l'autre, mais il n'en faut pas moins les distinguer aussi claire-

ment que possible. Les conséquences pratiques qui en découlent, sont évidentes. Les Alliés et l'Amérique sont unanimes sur ce point là; ce qui ressort aussi de leur décision de s’en- | tendre d'abord entre eux sur les conditions | principales de la paix.

La collaboration américaine à l'élaboration

de la paix sera certes aussi féconde que l’a été la contribution de l'Amérique à la guerre. La présence du président Wilson en Europe en est la meilleure garantie.

D'autre part, la France et la Grande-Bretagne,

qui ont supporté tout le poids de la guerre, qui ont été directement menacées par le germanisme, sauront tempérer, dans la mesure de l'utile, le penchant éventuel de l'Amérique |

pour des solutions par trop dociritaires. C’est de cette synthèse des deux démocraties, de

l'Ancien et du Nouveau Monde, que sortira le

système international appelé inexactement la Société des Nations. Une société des nations

existait aussi avant la guerre, et elle n'a pas. empêché les conflits armés. Mais ce n'est : qu'une erreur de langage ; il s'agit évidemment |

de construire une société organisée des nations,

exerçant un certain pouvoir sur tous les mem- : bres de la société, C'est dans ce système que :

le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes,

intégralement constitué et reconnu, verra lui : aussi la condition indispensable de son déve-

loppement politique.

L. M.

L'entrée des Serbes à Split en Dalmatle

Lorsque les marins annoncèrent l'arrivée à Split du transport avec les troupes serbes venant de Metkovilch, les jeunes gens se udépêchèrent et se disputèrent l'honneur . prendre les cordes et de jeter le pont sur febateau. Les représtentants des autorités de toutes les corporations ;de la ville et des environs étaient présents. La musique entonna l'hymne serbe, « Bojé, Pravdé », tandis que la garde nationale, les gymnastes ct le peuple entier saluaient frénétiquement le soldats du roi Pierre. i

Le commandant Stoyan Trnokopitch paraît Je premier el d'une voix sonort il salue les tcitoyens de Ja ville libérée par ces paroles: « Qu Dieu vous vienne en aide, frères!» Un orage de cris enthousiastes s’éleva en l'honneur de l’armée serbe, du roi Pierre, du prince régent Alexandre el de la Yougoslavie. Le docteur Smodlaka prend la parole au milieu d'un profond silence et, par une émouvante allocution, salue le commandant serbe:, «Soyez les binvenus, nos faucons imvincibles. Si vous saviez combien fongtemps nous avons allendu l'arrivée le ce mr ment hislorique et si vous saviez combien «le nos frères moururent avec ces paroïes aux lèvres : «Pourquoi, grand Dieu, me prends-lu la vie avant que Je les aie vus ? Nous fûmes des milliers qui, dans les prisons, soupirâmes à ce grand moment, à ce moment plus précieux que tout le reste de notre vie.» En relevant tous les faits d'armes de l'armée serbe, Smodlaka disait qu'en libérant Koumanovo elle a décidé du sort de Split et qu'en conquérant Prilep, elle avait déjà conquis Zagreb. « Notre résurrection, disait-il, est en premier rieu l'œuvre de l'armée! serbe » Le Dr Smodlaka a terminé son allocution par: Vive le roi Pierrel Vive l'armée serbe! » Ensuite äl embrassa le commandant en Jui serrant fortement la main. s

* Par quelques mots couris et énergiques, Je commandant remercia l'orateur et salua le peuple, IL emmène avec lui les soldats serbes qui sont en même temps soldats de toute Ja Yougoslavie. Il est heureux d'être le premier entre dans la plus belle ville de notre chère Dalmatie, À son em de «Vive la Yougoslavie | », il est littéralement couvert de fleurs, ainsi que, ses ollicers et ses soldats, et [a foule la salua de nouveau par Jes mêmes Cris d'enthousiasme : Ja musique ne cesse Pas de jouer des airs uationaux. Puis Mme Maïa Nizétitch Tchoulitch le salue au nom des: femmes vougoslaves ide Dalmatie et lui fait présent d'une couronne Ac lauriérs en argent. . ,

Aurivés devant l'arc de tiompne, les soldats ont été salués par un discours de bienvenue prononcé ar le Dr Radakovitch, maire \e Split, qui leur dit entre autres: «Soyez les bienvenus, valeureux pélerins du lointain Vardar, soyez les bienvenus, vous qui descendez À votre Split ail nom de notre roi PIETTC Karageorgéviteh ! »

Truokopitch lui répondit : « Voilà bientôt sept ans que nous, Versons notre sang: nous combatirons encore avec plus d'énerje contre Ceux qui oseraient toucher um, seul pouce du sol sudslavels ! \

Le commandant

soldat serbe qui:

Rédacteur en chef : D: Lazare MaRCOVITÉH, professeur à l’

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Genève, Lundi 40 Décembre 1918 +

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L'impérialisme italien à l'œuvre

Dans son discours prononcé au Sénat le 14 décembre, l'ancien ministre des Affaires Etrangères, Tomimaso Titloni, a fait un exposé caractéristique des revendications italiennes.

_Nous nous occuperons ici uniquement de la deuxième partie du discours, qui concerne la situation dans lAdriatique, cette partie étant celle qui nous touche de plus près. « Le retour à l'Italie de toutes les terres de languë itaiiemne, dit M. Tittonÿ, est simplement une question de justice. Attendu qu'il a toujours été répété du côté de l’Entente que celle-ci combat pour de triomphe de la justice et du droit, il est impossible qu'on ne vienne pas rendre la justice à l'Italie et que ses droits légitimes me soieht pas reconnus. » M. Tittoni ne se réclame donc ni-du principe des nationalités auquel son pays doit sa naissance ni de celui de Vauto-disposition proclamé par de président Wilson. Il abandonne ces principes à ceux qui voudraient s’en servir pour embrasser le critère de la Jangue d'usage « Umgangssprache », l'invention ingénieuse de la diplomatie autrichienne dont elle se forgea ‘une arme contre les nationalilés opprimées et s’en servit pour grossir les rangs des Allemands. dans les régions qu’elle tenait contre la volonté des peuples. Or l'Entente n'a pas combattu pour voir les abus des temps anciens se prolanger à l'infini. Le négime qui crée le monopole polilique en faveur de certains peuples privilégiés a vécu. En vertu des principes proclamés par J’Entente même ceux qui parlent italien, ne seront considérés comme Italiens que s'ils le désirent. Selon la théorie de Tüilttoni se serait le contraire. Ainsi la partie de la Suisse parlant-Ja langue italienne devra aussi revenir à l'Italie comme-la.- terre irédiente! L'appétit vient en mangeant! :

De même que le retour des Lerres irrédentes à l'Italie conslitue lune question de justice, la question de la prépondérance dans lAdriatique, affirme M. Titioni, est une question de sécurité et de légitime défense. La possession de Pola et de Valona assurera cette jprépondérance mais sous la condition que cette possession implique la garamtie de la possibilité de la lormeture du canal d'Otranto. Une telle garantie on ne pourra lavoir que si lon obtient da meutralisation du canal de Corfou, neutralisation proposée par le gouvernement britannique en 1913, laquelle obtint l'adhésion de l'Italie mais dont les négociations furent suspendues par la guerre. Une telle mesure sera également, dit M. Tittoni, une garantie et une protection pour la Grèce. À voir M. Tittoni accumuler les mesures de sécurité et de protecliom jusqu'à demamder la fermeture de l’Adriatique, on dirait qu’en face de l'Italie se dresse une puissance maritime de premier ordre (où bien une puissance ennemie telle que PAutriche-Hongrie où l'Allemagne. Or ce n’est point le cas. La puissance que l'Italie aura pour voisiné cette fois est un pays qui pour ainsi dire vient de naître ayant les mêmes ennemis ‘que l’Italie et ne demandant pas mieux que de vivre en bonne amitié avec les peuples de la race latine. N'ayant pas de flotte ni d'industrie il n’aspire à aucune hégémonie et. constitue un voisinage idéal pour l'Italie aussi bien au point de vue pèlitique comme au point de vue économique.

Tout cela, bien entendu, sous la condition que les excès des garanties que litalie se propose de prendre ainsi que les abus de force de sa part n’éveillent pas chez l'Etat voisin des soupçons el des craintes justifiés.

Le projet de la fermelure de l’Adrialique préconisé par M. Tittoni et approuvé par M. Orlando n'aura d'autre effet aue de mettre sur ses gardes le peuple voisin contre les prétentions exhorbitantes et les vélléités italiennes tendant à étouffer l'essor et le développement des Slaves du Sud, Aussi ces derniers n@& permettront jamais qu'une hégémonie quelconque soit établie sur l’Adriatique, car elle signifierait l’embouteillement des Etats riverains et partant l'esclavage politique et économique de ces Etats. Quant aux villes de Pola et Valona leur sort est réglé Pola est une ville slave comme Valona est uné ville albanaise. Si le principe des nationaütés trouve son applicalion au Congrès de paix, en;quoi nous avons la ferme con-

. Gependant,

viction, ces deux villes doivent revenir à leurs Etats respectifs sudslave et lalbamais, dont elles forment la partie intégrale. La neutralisation du canal de Corfou dans le but de rendre possible la fermeture du canal d'Otrante est donc une solution inadmissible car elle rend illusoire la liberté de l’action des Etats riveraïns en leur ôtant tout avantage de la possession des ports qui constituent leurs ‘débouchés naturels.

M. Tittoni et M. Orlando ne cessent de parler de la sécurité de J'Adiiatique et des garanties que l'Italie doit prendre, Mais quelles garanties doivent alors exir ger pour leur sécurité la Serbie et la Grèce ayant vis-à-vis d'elles une grande puissance maritime qui me respecte aucun principe mi celui de Mazzini, ni celui du président Wilson, qui au mépris du pacte de Londres qu’elle ne se lasse pas d'invoquer en sa faveur, s'empara de Fiume; en foulant aux pieds les engagements solennel$ de Campidoglio, occupa l'Istrie et la ville de Zara et après avoir proclamé par la bouche du président du parlement que l'unité italienne se trouve achevée, débarque des troupes à Sebenic et à Bacar. Quel sentiment de sécurité pourraient éprouver les voisins de l'Itaile laquelle ne recula même pas devant les rixes et collisions, sanglantes avec la population indigène des îles de Cherzo et de Lissa (Hvar) où l'on mwen voulait pas des « libérateurs » italiens ? |

En présence d'une attitude aussi hôstile de l’Italie officielle et devant de tant de menaces accumulées faut-il s'étonner que la méfiance commence à s’emparer de tous les hommes de bonne foi vis-àvis de l'impérialisme italien qui s'étale avec un. manque de pudeur jusqu'à présent inconnu. Le ‘projet de la fermeture du canal d'Otrante prêché ouvertement par les hommes politiques italiens est un défi à l'époque où nous vivons, Trois siècles après Grotius les Italiens plaident enccre la cause de la « mare chiuso »!! Faut-il s'étonner alors si un jour même ceux qui désiraient rester toujours les amis de l'Hahe se voient dans l'impossibilité de l'être? On objectera que MM. Titloni et Orlando ne représentent pas toute l’Italie et qu'à côté du programme de Tittoni il existe celui de Salvemini qui est plus modeste. il ne faut pas oublier que c'est

d’après le programme de Titloni que 'Ita-

‘lie a réglé sa conduite et que celui-ci ins-

pire son action. Il ne faut non plus oublier que si ce pays est la patrie de Mazzini,

elle est aussi celle de Machiavel. Pour rester l'ami de l'Italie il faut aonc être à la fois de l’école de Mazzini et de celle de Machiavel; prier à la fois Dieu et le Mammon, Pour une pareille combimaison les Sudslaves ne sont pas encorë mûrs, IL faut avoir la souplesse italienne pour sy prêler et y réussir. M. D. M.

La discussion Kuhne-Borgese

Notre ami distingué, M. le (Dr V. Kuhne, vient de répondre, dans le « Genevüis ». du 21 décembre, à l’article du professeur Borgese sur la controverse italo-slave, Faute deplace, nous ne reproduisons ici que les deux passages suivants de cette réplique si bien documentée:

« M. Borgese prétend qu’en battant l'Autriche-Hongrie l'Italie a rendu à la Yougoslavie un service... Est-il sûr de cette vérité? Ce serait injuste de ma. part de vouloir nier la valeur de l'intervention ilalienne dans la conflagration mondiale. Cependant jusqu'à affirmer que «l'Italie a battu l’Autriche-Hongrie », c’est se tromser soi-même et tromper les autres. Les

usses l'ont battue sans la battre x les Serbes en ont fait autant. L’Autriche-Hongrie s’est écroulée intérieurement, non pas grâce à Caporetto, mais grâce à l’activité

estructrice de ses propres peuples, et l’Italie n’est venue qu'à la douzième heure

pour l'achever, alors que les Serbes et

leurs alliés avaient déjà atteint, en marche foudroyante, les bords du Danube et de la Save. et

« Ceci restera dans l’histoire un fait curieux que deux nations faites pour vivre

“en amilié ét en bonne harmonie soïent

devenues deux ennemis mortels, non pas