Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE SEIZIÈME. 445

déjà reçu, une commission présidée par un voïivode fut instituée et parcourut successivement toutes les nahie, inscrivant les jeunes gens arrivés à l’âge de dix-sept ans, rayant les vieillards qui avaient atteint soixante années, et transportant aux premiers les armes que des mains trop débiles ne devaient point conserver. En face de la joie avec laquelle les adolescents recevaient l'arme qui leur était confiée, éclatait le désespoir des vieillards aux quels on enlevait le fidèle compagnon de leurs prouesses. Quelquefois même la famille tout entière du vieux Monténégrin joignait ses prières à celles de ce dernier, pour qu'on lui conservât le fusil qu'un ordre inflexible devait remettre en de plus jeunes mains. C’est que le Monténégrin oublie sa vieillesse, quand il s’agit de défendre la patrie, et tant qu'il peut encore manier le fusil, c'est, pour lui une honte d'être vu inactif : aux femmes seules le droit de rester spectatrices des combats. Il ne comprend qu'une coopération matérielle à l'œuvre du salut commun. Et ce n'est point seulement dans les choses de la guerre que ce devoir lui apparaît, car il le retrouve et le subit toutes les fois qu'il s’agit d’un intérêt quelconque touchant aux affaires du pays. Un exemple se présente ici à notre souvenir, qui prouvera amplement ce que nous venons de dire. La commission chargée de percevoir l'impôt, se trouvant en face d'un vieillard que l’on savait dans le dernier dénûment, refuse de recevoir la modeste obole qu'il venait verser dans la caisse publique; mais lui, s'adressant au prince qui était présent : « Ne suis-je plus, dit-il, un fils de la patrie, ou bien mon petit impôt n'est-il pas digne de se joindre à celui des autres? J'ai versé à la guerre beaucoup de sang pour mon pays, et j'ai bien le droit de lui