Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE SEIZIÔME. 453

ment où ses blessures sont cicatrisées pour regagner le champ de bataille ; il court joyeux au devant d'une mort qui consacrera à jamais sa mémoire dans le cœur de ses concitoyens; il sait que son nom reparaîtra dans les chants de guzla, et que les voix des femmes le joindront dans leurs lamentations à ceux des héros qui furent la gloire de la Tsernagore ; son dernier cri, ses derniers vœux seront pour son prince et pour sa patrie.

Pendant la désastreuse retraite de Petar Stephanov, dans les Biélopavitj, en 1862, un soir de combat, Nicolas I parcourait une ambulance improvisée dans sa maison d'Orca-louka. Des blessés de tout àge étaient là gisant sur des lits de paille, oubliant leurs souffrances pour saluer leur prince à son passage, quand soudain, du milieu d'un monceau de morts et de mourants, se dresse comme un spectre un jeune homme horriblement mutilé qui, jetant dans un élan suprême {out son reste de vie, râle plutôt qu'il ne crie : « Givio gospodar », et, comme une masse inerte, retombe expirant sur son misérable grabat.

En convoquant le ban et l’arrière-ban de ses soldats, le Monténégro ne saurait guère opposer aux forces de l'ennemi qu'une vingtaine de mille hommes dont les trois quarts à peine véritablement armés à l'européenne!.

C'est là un contingent qui peut au premier abord paraître bien insuffisant pour la défense d’un pays; et pourtant, grâce à la constitution topographique de la Tsernagore, cette petite troupe serait capable de tenir longtemps

1 À savoir : 12,000 avec la carabine Minié, 3,009 avec le fusil à aiguille, 1,000 avec des fusils transformés, et le reste avec le vieux fusil albanais. Les fusils à aiguille n’ont été distribués qu'aux tireurs émérites, et sont répartis en nombre égal dans chaque bataillon.