Le règne de la vertu : la dictature de Robespierre

890 Le REVUE DES DEUX MONDES.

IV

Une minute, il avait perdu de vue son plan de conquête sans tapage ; il était perdu. Il n’entendit pas que, derrière lui, des imprécations grondaient, partant des rangs de la Convention oubliée. Les ennemis soulignaient de murmures l’imprudence de l’homme.

Le soir même, la Décade osa plaisanter en termes acerbes la nouvelle religion d'État, et lorsque Maximilien, encore grisé, se rendit aux Jacobins pour y triompher, il s'y heurta à la morne figure de Joseph Fouché.

Par un hasard, ce « déchristianisateur » était président du club, où, déjà avisé, il avait cru trouver une place de sûreté. Il affecta, à la vérité, de s'associer à la joie générale, mais, après quelques phrases banales, il ajouta : « Brutus rendit un hommage digne de l’Être Suprême en enfonçant un poignard dans le cœur d’un tyran. Sachez l’imiter. » Robespierre comprit : 1l le montrera bien lorsque, quelques jours après, il désignera Fouché comme le chef d'une conspiration tramée contre lui. Mais on avait applaudi la phrase audacieuse du président. Robespierre avait commis sa première faute.

Il ne lui en fallait plus commettre. On le guettait. Tout un groupe se tenait pour condamné par le règne de la vertu. C'étaient ceux qu'autour de Robespierre, on appelait « Les pourris, » proconsuls qui avaient fait de l’or dans le sang. C'étaient aussi Les athées, la queue d'Hébert, particulièrement ce « misérable Fouché. » 11 en fallait (le mot revient dans les discours du groupe) « purger » la Convention.

C’est Le surlendemain de l’algarade de Fouché, le 22 prairial, que surgit inopinément la proposition Couthon, destinée à livrer à Robespierre ses derniers ennemis. « Toute lenteur est un crime, toute formalité un danger public; le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaitre. » Les prévenus n’auront plus d'avocats et le jury par ailleurs jugera en masse les accusés. Plus d’ « espèces ; » une seule inculpation; seront déclarés ennemis du peuple « tous ceux qui cherchent à anéantir la liberté soit par la force, soit par la ruse. » C'est la dictature de l’accusateur public et du juge ; mais on sait bien qui tient juge et accusateur. Ce n’est pas tout, et voici