Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

PÉRIODE THERMIDORIENNE. — DIRECTOIRE 311

droit de charmer les yeux; ce qui rendait ses succès plus étonnants et, par cela même, plus vrais et plus durables.

« Non loin d’elle était placée une quatrième prétresse de Melpomène, qu’elle avait chargée d’exprimer les sentiments de haine et de jalousie, et qu'à cet effet elle avait douée d’un extérieur hâve et musclé, d’une démarche prononcée et d’un organe menaçant : on eût dit Tisiphone veillant à l'entrée du Tartare, ou bien Atropos coupant, avec un sourire infernal, le fil de nos jours : c'était Mi° Fleury, dont les vrais connaisseurs applaudissaient l'énergie, la belle tradition des anciens, et qui fut inimitable dans les rôles d’'Eriphile et de Rodogune.

« Enfin, pour compléter cette nombreuse famille, la vénérable Mr° Suin, qui semble en être la mère, exerçait l'empire que donne une instruction rare, un grand usage social, porté jusqu'à l’austérité la plus scrupuleuse; et M®° Thénard y tenait, d’une main ferme, le sceptre difficile des rôles à caractère.

« De l’un à l’autre de ces deux groupes, allaient et revenaient les acteurs les plus célèbres dans les deux genres. Là, c'était Molé, dont la grâce et l’élégante impertinence offraient le modèle accompli des grands seigneurs et des roués de cour ; mais, en même temps, il était doué d’une chaleur d'âme et d’une vérité d'expression si ravissantes, qu'il faisait oublier son arrogance et la familiarité de ses manières. Il prouvait en quelque sorte que tout est permis aux grands personnages... CSS

« Auprès de lui paraissait moins profond, moins entraînant, mais tout aussi brillant peut-être, et d’une

_impertinence encore plus sardonique, ce Fleury dont les élégants du jour imitaient, dans le monde, la pose, le maintien et surtout cette assurance de séduction si profitable aux coureurs d'aventures. Chacun d'eux,