Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

310 LE THÉATRE-FRANÇAIS PENDANT LA RÉVOLUTION

«Sur l’autre sopha vis-à-vis, se composait le groupe de Melpomène.

« Au centre était M1 Raucourt, qui joignait aux belles formes d'Hermione, l'imposante majesté de Didon et la voix touchante de Médée en fureur. On ne l'abordait qu’avec crainte; et, bien que sa conversation fût attachante, on n’osait pas s'y livrer; on s’imaginait toujours en lui parlant, qu’on s'était trompé de sexe. À ses côtés siégeait M'° Vanhove, qui devint M°° Talma : véritable sirène qui, par sa voix, opérait un enchantement dont il était impossible de se défendre. C’est la plus touchante Andromaque et la plus parfaite Iphigénie qu’ait jamais possédées le Théâtre-Français. Inimitable dans l’Eugénie, de Beaumarchais, et surtout dans la Jeunesse de Richelieu, elle joignait à la figure la plus expressive, le geste et le maintien d’une femme de qualité; sa bouche ne s’ouvrait que pour proférer un mot de cœur ou d’esprit : tout était en harmonie avec son regard, dont la douceur vous subjuguait. C'était, en un mot, la preuve parlante de cet adage d’un de nos plus ingénieux poètes modernes :

La nature nous forme et nous donne des traits; Mais c’est l’âme qui fait la physionomie.

« Auprès d'elle et sur le même sopha, était une autre jeune enchanteresse dont la voix semblait descendue du ciel, pour nous donner une juste idée du concert des anges : c'était Me Desgarcins que Ducis appelair son Hédelmone, rôle qu’elle avait créé dans la tragédie d’'Ofhello, de manière à rappeler aux vieux habitués cette tendre Lecouvreur, dont toutefois elle était loin de posséder la beauté. La nature, en formant Desgarcins, ne s'était occupée qu’à lui donner le rare avantage de sentir vivement et de bien exprimer : elle avait oublié tout à fait de la parer du