Les derniers jours d'André Chénier

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292 LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER

expériences de toutes sortes. C'était une jeune femme de la plus haute condition. Elle avait été duchesse pendant une dizaine d'années. Si elle avait repris, dans la prison de Saint-Lazare, son nom de « demoiselle », c'est qu’un acte de divorce, daté du mardi 7 maï 1793, et signé d'Antoine-Edme-Nazaire Jaquotot, officier public de la municipalité de Paris, l'a dégagée d'un lien qui ne semble pas d ailleurs avoir beaucoup gêné sa liberté. Elle avait déjà eu, d’après son diligent biographe, M. Lamy, un mari et, au moins, deux amants...

Quoi qu’il en soit, son ancien mari, le duc de Fleury, ayant commis l'erreur d'émigrer, elle le juge à la fois insupportable et compromettant. Aussi s’est-elle hâtée de dépouiller lé nom et de rejeter le souvenir de ce gentilhomme, afin d'éviter, autant que possible, les affres de l’échafaud. Le registre d'écrou de SaintLazare la mentionne, cependant, comme suit : 26 ventôse, n° 886, Fleury, Anna-Aimée Franquetot(femme).

Malgré ce libellé, l'entrée du numéro 886 excita un vif mouvement de curiosité parmi les prisonniers de distinction qui abondaient à Saint-Lazare. La cour et la ville connaissaient fort bien la biographie retentissante de cette « jeune captive ». Il faut bien avouer que cette biographie, pleine de liaisons dangereuses, n’a rien de commun avec la renommée virginale et héroïque, dont la légende, par la vertu d’un grand poète, a paré son souvenir.

Née à Paris, le 12 octobre 1769, en l'hôtel de Coïigny, rue Saint-Nicaïse, elle reçut de son pèreune éducation que M. Élienne Lamy résume en ces termes : u La pudeur des regards et la sainteté de l'ignorance furent blessées en elle par des visions précoces du mal. A six ans, elle perdait sa mère : la femme distinguée quiéleva l'enfant était, comme on disait alors, l« amie » de son père... » N’insistons pas. Disons seulement que