Les derniers jours d'André Chénier

LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER 299

Tel qu’à sa mort pour la dernière fois

Un beau cygne soupire et de sa douce voix, : De sa voix qui bientôt lui doit être ravie,

Chante, avant de partir, ses adieux à la vie.

Il meurt, non pas en prisonnier de romance ou de chromo, comme un Dorat ou un Colardeau de décadence, mais sombre, irrité, inventant, pour exprimer sa peine et sa colère, un martellement de syllabes funèbres que la langue française, avan lui, ne connaissait pas.

Quand, au mouton bélant, la sombre boucherie Ouvre ses cavernes de mort,

Pâtres, chiens et moutons, toute la bergerie Ne s’informe plus de son sort.

Les enfants qui suivaient ses ébats dans la plaine, Les vierges aux belles couleurs

Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine Entrelaçaient rubans et fleurs,

Sans plus penser à lui, le mangent s’il est tendre. Dans cet abîme enseveli,

J'ai le même destin. Je m'y devais attendre. Accoutumons-nous à l’oubli.

Oubliés comme moi dans cet affreux repaire, Mille autres moutons, comme moi,

Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire, Seront servis au peuple-roi.

Ecrits sur des bandes de toile, ces vers étaient envoyés, en cachette, à la maison paternelle, 07, rue de Cléry.

C'est là que M. Chénier, le père, impuissant à sauver la vie de ce fils préféré, dont la mort devait le faire mourir lui-même, sauva du moins sa gloire, en se constituant le gardien de ces précieux manuscrits qui, après des fortunes diverses, sont entrés en 1892 à la Bibliothèque nationale, et que publie, en ce moment, avec une exactitude, pour ainsi dire, photographique, sans omettre une rature ni une variante ni une sur-