Les serviteurs de la démocratie

190 LES SERVITEURS DE LA DÉMOCRATIE Belle-[sle en Mer, il est gracié en 1854 à la suite de circonstances qui méritent d’être rappelées.

L'empire s'était engagé follement dans la guerre de Crimée, si mal commencée, mais glorieusement finie par la prise de Sébaslopol. Barbès alors, Barbès, l’âme la plus française qui fût jamais, avait tressailli de joie. Oubliant un moment l’empire, il ne s’était souvenu que du succès du drapeau tricolore et avait écrit à un de ses amis pour lui faire part de sa patriotique émotion. — La lettre du prisonnier fut indiscrètement mise sous les yeux d’un ministre de lempire, qui crut faire acte d’habileté en graciant sans retard Armand Barbès.

Lorsqu'il apprit cette grâce inattendue, notre ami s’abandonna à un sentiment de colère et de douleur. On le contraignit de quitter sa prison. Il vint à Paris; il adressa au Siécle la lettre véritablement sublime que nous sommes heureux de reproduire ici.

À vingt-six ans de distance, comment se défendre d’une vive émotion en relisant, sur une page jaunie, cette protestation écrite tout entière de la main ferme d'Armand Barbès ? (1)

« Monsieur le rédacteur en chef,

» J'arrive à Paris ; je prends la plume et je vous prie d'insérer bien vite celte note dans votre journal.

» Un ordre dont je n’examine pas les motifs, car je n'ai pas l'habitude de dénigrer les sentiments de mes ennemis, a été donné le 5 de.ce mois au directeur de la maison de détention de Belle-Isle.

» Au premier énoncé de cette nouvelle, j'ai frémi EN

(1) Cette lettre est aujourd'hui la propriété de M. Philippe Jourde, directeur du Siècle.