Les serviteurs de la démocratie

32 LES SERVITEURS DE LA DÉMOCRATIE qui le confesse, — « la langue paralysée ». Cela ne l’empêchait pas, à l’occasion, de trouver des réparties fort piquantes. Un jour qu’un ennuyeux personnage affirmaitnous ne savons quelle contre-vérité et s’écriait : « Si ce que je dis nest pas exact, je vous offre ma tête? » — « J'accepte, répondit Montesquieu, les petits, présents entretiennent l'amitié. » Une autre fois : il raconte que, pendant son séjour à Rome, il obtint une audience du pape ef la permission pour sa famille de faire gras le vendredi. Ayant de quitter la ville éternelle il eut l'idée d’aller rendre une visite au secrétaire du souverain pontife et lui dit en manière de conversation : « Le,pape a été vraiment bien bon pour moi et pour tous les miens, il nous a accordé la permission de ne plus faire maigre. — Oui, répliqua le secrétaire; mais il vous faut le Bref signé de sa sain teté, cela vous coûtera mille écus; je vous l’enverrai. — Ah, pardon! répliqua Montesquieu, ne prenez point cette peine : j'ai confiance dans le pape et sa parole me suffit. » ë

Mais ces bonnes fortunes de conversation sont rares chez l’auteur des Lettres persanes : il n'avait guère couramment que ce qu'on nomme l'esprit de l'escalier. Ce n'était qu'à la dernière marche qu’il trouvait la réponse à faire dans le salon. On se rend très bien compte d’ailleurs, aujourd’hui encore, en visitant le château -et le parc de la Brède, du goût de Montesquieu pour cette solitude charmante où tout était disposé selon ses désirs et ses habitudes. Il avait là dans une contrée admirable les prairies et les vignes qu’il préférait. C’est de 2e coin de terre bordelais qu’il faisait à fous ses amis d'Angleterre des demandes de graines de trèfle et de luzerne. C’est de la Brède qu'est datée la jolie lettre, dont parle Villemain dans son Cours de littérature. où