Les serviteurs de la démocratie

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richir. Seulement, il aurait fallu pour cela que la presse fût libre. Or, à tout moment et à {out propos, le pouvoir suscitait aux écrivains des entraves nouvelles, Un volume allait-il paraître, tout à coup la censure intervenait et supprimait le privilège sans lequel aucun livre ne pouvait être publié. Il fallait recommencer l’œuvre et s’épuiser en sollicitations et en démarches. Heureux encore si on échappait à la prison! Le privilège de l'Encyclopédie, pour ne parler que d'elle, fut retiré à cinq reprises. Diderot, d’ailleurs naïf comme un enfant, se laissait tromper par son libraire et n’était pas soutenu par ses collaborateurs. La plupart de ceux-ci l’abandonnèrent soit par crainte, soit par lassitude. Le grand écrivain resta seul chargé de cette œuvre immense dans laquelle il s’efforçait de rassembler les résultats de toutes les philosophies et de toutes les sciences. Il mit près de trente ans à terminer ce travail colossal. Quand on songe qu'il avait contre lui la cour, les nobles, les gens en place, les financiers, les parlements, leclergé, on est saisi de respect devant la persévérance héroïque de Diderot. Lentement, l'Encyclopédie s’éleva comme une forteresse en face de la Bastille. Et pour emprunter à notre grand Victor Hugo un de ses mots les plus célèbres : « Ceci tua cela! »

Aussi la France républicaine accomplirait-elle un acte de justice et de reconnaissance en faisant précéder la fête du centenaire de la Révolution par la glorification des encyclopédistes.

Honorer publiquement Diderot, non seulement à Langres où il est né, mais à Paris où il est lu, ce serait honorer le peuple qu'il incarnait dans sa personne et quil représente encore aujourd’hui dans ce qu'il a de plus fin, de plus doux et de plus fier.