Lettres inédites de Frédéric Gentz à sir Francis d'Ivernois (1798-1803)

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Vous n’aviez que trop justement calculé quand vous nous annonciez que la Westphalie cis-rhénane ne tarderait pas à être attaquée par les exploits de la propagande. Le courrier d'hier nous a apporté la nouvelle d’un soulèvement dans le comté de Marck, et de quelques symptômes d’un autre dans la principauté d’Ostfrise. Le premier de ces événements, auquel une querelle très insignifiante a donné naissance, a été jugé assez dangereux pour qu’un régiment entier ait reçu l’ordre de se mettre en marche; le second, quoique moins considérable et étouffé au premier moment, a cela de remarquable qu’il a été produit par un écrit incendiaire, vomi des frontières de la Hollande sur un pays jusqu'ici fort tranquille, et fort heureux sous la domination prussienne. — En Italie le bouleversement avance avec une rapidité effroyable : sans vouloir être un prophète de malheur, je suis intimement persuadé que dans moins de six mois le roi de Sardaigne, le grand-duc de Toscane, et le roi de Naples! — auront régné. Lisbonne sera la proie du Directoire avant la fin de l’été prochain. — Les Français font tout au monde pour faire pénétrer leur doctrine empoisonnée dans le cœur de la Hongrie et même dans l'empire des Turcs, leurs fidèles alliés, par le canal de la Dalmatie et des îles autrefois Vénitiennes, qu’on a eu la lâcheté de leur céder. — Et comme on se moquait partout, comme on criait à l’exagération, à la déclamation etc. quand Mr. Mallet-Dupan, et quelques autres hommes plus clairvoyants que leurs contemporains, osaient prédire il y a six ans que cette révolution ferait le tour de l'Europe!

Vous vous tromperiez bien cruellement, Monsieur, si vous fondiez encore la moindre espérance sur la sagesse et l'énergie du Gouvernement prussien. Je prendrai la liberté de vous parler franchement sur ce sujet : je le dois à un homme qui a si bien mérité de la bonne cause, — Le Roi est un prince des meilleures dispositions : il est laborieux, juste, excellent économe, bon et affable envers tout le monde; si dans

1. Le mot Naples recouvre le mot Prusse.