Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

176 LA CRISE EUROPÉENNE ET L'EMPEREUR ALEXANDRE.

pas au milieu d’un peuple chrétien et plus ou moins facile à manier, mais au milieu d’une race fanatique, vindicative et barbare. — Sans doute lhumanité frémit à l'aspect des scènes qui, à ce qu’il paraît, désolent la plus grande partie de la Turquie européenne, et il ne faudra rien moins que Vautorité imposante du grand nom et du caractère de votre majesté pour que la nation russe se résigne à voir les ministres de la religion qu’elle professe elle-même immolés avec tant de barbarie au ressentiment du gouvernement sous lequel ils ont le malheur de vivre; mais nous espérerions en vain pouvoir matériellement changer leur sort ou les délivrer de leurs souffrances et maintenir en même temps le système de l’Europe tel qu’il existe aujourd’hui. Le danger d'innover dans cette œuvre consacrée et la réflexion que, si nous ne pouvons refuser aux Grecs notre sympathie et notre compassion, ils ont pourtant été les agresseurs dans la circonstance actuelle, et qu'ils se sont laissé entraîner à la pratique périlleuse et COITUPtrice de l’époque, si fortement réprouvée par votre majesté impériale, peuvent bien l’engager, elle et ses alliés, à rester en observation plutôt qu'à intervenir dans l’inextricable confusion des affaires turques. — La flamme brûle en ce moment avec trop d'intensité pour que cela puisse durer longtemps; un temps doit arriver, et probablement avant peu, où la puissance turque, épuisée par ses propres convulsions, deviendra accessible à la raison, où la voix de votre majesté sera entendue et les griefs dont elle se plaint redressés, et peut-être la Providence, dans'les nombreuses épreuves auxquelles elle vous a réservé dans le cours de votre vie, remplie de tant et de si glorieux événemens, ne vous a-t-elle jamais présenté l’occasion de donner au monde et à la postérité un plus éclatant témoignage de vos principes qu’en vous mettant à même de manifester envers un gouvernement fanatique et à demi barbare ce degré de modération et de magnanimité qu’un esprit religieux et enthousiaste pour le système que votre majesté a si puissamment contribué à élever en Europe peut seul inspirer, en présence de semblables provocations, à un prince armé d’une telle puissance.

« J'ose espérer que les sentimens que je me suis hasardé à exprimer ne blesseront pas votre majesté impériale et ne seront pas désavoués par elle. Quelle qu’ait pu être la divergence d'opinions dans les récentes discussions sur des théories abstraites de droit international, et à quelque point que la position du gouvernement britannique se soit écartée de celle des trois cours alliées par la ligne de neutralité que le roi a cru devoir adopter au sujet des affaires d'Italie, nous pouvons constater avec bonheur que, depuis l’heureuse époque qui a donné naissance à l'alliance actuelle, il s’est à peine présenté un exemple de dissentiment politique entre les conseils de votre majesté et ceux de mon auguste maître sur un point de quelque gravité pratique. Je suis certainement convaincu que chacun des états alliés, tout en avouant consciencieusement à la face du monde ses propres principes et en maintenant ses habitudes particulières d’action, restera inaltérablement fidèle aux obligations fondamentales de l'alliance, et que le système actuel, conduit avec cette prudente modération, subsistera longtemps pour la sûreté et le repos de l’Europe... »

Cette lettre est surtout remarquable, parce qu’elle nous révèle