Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

182 LA CRISE EUROPÉENNE ET L'EMPEREUR ALEXANDRE. :

était encore pour la France et même pour l’Europe un objet de terreur, était donc enfin maître du pays, et par l'effet des changemens que les faits accomplis dans cet intervalle avaient apportés à l’état des esprits, son triomphe, accueilli avec une satisfaction plus ou moins complète par plusieurs de ceux qui l'avaient jadis tant redouté, était accepté par beaucoup d’autres avec résignation. La majorité de la nation le voyait avec défiance, avec inquiétude; mais lasse de tant d’agitations, un peu désenchantée par le triste avortement des tentatives démocratiques, elle n’était pas disposée encore à seconder la vive opposition que le parti libéral commençait déjà à la tribune et dans les journaux contre un ministère dont il avait favorisé l’'avénement, et bien moins encore à s’associer aux complots des sociétés secrètes organisées depuis quelque temps sur tous les points du royaume, à l'exemple des carbonari italiens. Ces complots, facilement réprimés, n’eurent d’autre résultat que le supplice de quelques malheureux presque tous fort obscurs, et leur condamnation, en frappant de terreur les ennemis de la royauté, sembla, comme à l'ordinaire, fortifier le pouvoir, en attendant qu’elle devint contre lui un chef d'accusation, une cause d’impopularité. C’est pour la dernière fois que la France vit alors dresser l’échafaud politique.

Le ministère, appuyé dans les chambres par une imposante majorité, et en dehors de ces assemblées par une opinion ardente dont la bruyante exaltation, au milieu du découragement des autres partis, pouvait lui faire croire qu’ilreprésentait véritablement le sentiment publie, était donc en mesure de diriger la politique du gouvernement dans le sens du royalisme le plus prononcé. Déjà, tout en supprimant la censure préalable qui pesait temporairement sur les journaux depuis la mort du duc de Berri, il avait substitué aux lois si libérales votées trois ans auparavant pour régler le régime de la presse périodique une législation nouvelle dont le but évident était de la placer dans la dépendance du pouvoir. D’autres mesures, conçues dans le même esprit et réclamées par le parti victorieux, se préparaient; mais toutes les préoccupations intérieures ne tardèrent pas à s'effacer en quelque sorte devant une question extérieure qui tenait dans l’Europe entière tous les esprits en suspens : je veux parler de la situation de l'Espagne.

Les ultra-royalistes demandaient à grands cris qu’une armée française passât les Pyrénées pour aller délivrer Ferdinand VIT, prisonnier de la révolution, et le rétablir dans l’exercice de ce qu'ils appelaient ses droits légitimes. Le cabinet était loin d'avoir à cet égard des idées aussi arrêtées. M. de Villèle, qui ne tarda pas à en devenir le chef, et qui dès lors en était le membre le plus considérable, éprouvait pour cette intervention, et en général pour tout ce qui